Page:Guyau - Éducation et Hérédité.djvu/320

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
296
L’ÉDUCATION MORALE.

suspendu entre « le comble de la superbe » et « l’extrême de la lâcheté ».

À ce moment donc, où il ne semble plus rester dans l’esprit humain « qu’une guerre et qu’une destruction générale », où « les vérités aussi bien que les faussetés » paraissent être « ruinées » les unes par les autres, c’est alors que Pascal nous fait entrevoir, dans l’obscurcissement de toutes les lumières humaines, la vérité surnaturelle. Après que, en se plaçant au point de vue de la nature, il a détruit l’une par l’autre les thèses contradictoires des moralistes et des sceptiques, il va, en se plaçant au point de vue de la grâce, chercher à les concilier par un « art tout divin ». Selon Pascal, Épictète a raison quand il montre à l’homme ses devoirs, sa fin, sa grandeur : cette grandeur, c’est celle dont il est déchu ; mais l’homme ne peut seul la reconquérir ; et ici Montaigne a raison à son tour. La fin de l’homme lui est donc à la fois montrée et cachée : une puissance invincible l’y porte et l’en éloigne tout ensemble. Il faut que les obstacles, maintenus par Dieu même et que l’homme ne peut surmonter, s’écartent par une grâce divine. Ainsi, selon Pascal, la vérité surnaturelle, « unissant tout ce qui est de vrai » dans les systèmes moralistes et sceptiques, « et chassant tout ce qui est de faux, en fait une sagesse véritablement céleste, où s’accordent ces opposés, qui étaient incompatibles dans ces doctrines humaines ».

L’Entretien avec de Saci peut être considéré comme un des plus grands efforts qu’on ait jamais tentés pour résumer dans son développement et en même temps pour arrêter l’histoire de la pensée humaine. Tous les systèmes philosophiques, comme le remarque Pascal, se ramènent à ces deux doctrines morales : l’une qui affirme le devoir de l’homme et qui, de la conscience même du devoir, tire la certitude du pouvoir ; l’autre qui affirme l’impuissance de l’esprit humain et qui, de la connaissance de cette impuissance, tire l’incertitude du devoir ; l’une qui affirme la moralité, l’autre qui affirme l’absence de moralité. Non seulement donc Épictète et Montaigne peuvent représenter dans son passé le travail de l’esprit humain, mais ils pourraient même, selon Pascal, le représenter dans son avenir ; il semble que toutes les voies possibles dans lesquelles puisse s’engager la pensée métaphysique, conver-