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LA SUGGESTION NERVEUSE ET SES EFFETS.

au moins d’affaiblir chez une somnambule tel instinct, même des plus fondamentaux et des plus obligatoires pour la réflexion, comme l’instinct maternel, la pudeur, etc. Si cette suppression de l’instinct ne laissait quelques traces après le réveil, on pourrait alors éprouver la force de résistance des divers instincts, par exemple des instincts moraux, et constater lesquels sont les plus profonds et les plus tenaces, des penchants égoïstes ou altruistes. On pourrait, dans cette sorte de mémoire héréditaire et sociale qu’on appelle la moralité, distinguer les parties solides et les autres plus fragiles, plus récemment surajoutées.

Mais évidemment l’expérimentateur honnête ne se servira jamais de la force de la suggestion pour démoraliser ; il en fera usage pour moraliser. Sur ce point, les indications sommaires que nous avions données jadis se sont trouvées réalisées avec succès par un nombre déjà notable d’expérimentateurs. Il est démontré aujourd’hui qu’on peut souvent contrebalancer une manie ou une habitude dépravée par une habitude artificielle, créée au moyen de la suggestion pendant le sommeil hypnotique. La suggestion aura donc des conséquences dont on ne peut bien déterminer encore la portée au double point de vue de la thérapeutique mentale et même de l’éducation chez les jeunes malades nerveux.

En premier lieu, les résultats thérapeutiques de la suggestion sont déjà nombreux. Le Dr  Voisin affirme avoir guéri par suggestion le délire mélancolique et la dipsomanie. En tous cas, la morphinomanie est guérissable par ce moyen, et la guérison peut même se faire brusquement, sans provoquer ces accès de manie furieuse qui suivent ordinairement la suppression de la morphine. L’ivrognerie alcoolique et la manie de fumer ont été guéries de la même manière par MM. Voisin et Liégeois.

La suggestion pourrait aussi devenir en certains cas, un moyen correcteur. À la suite des troubles civils de Belgique, M. avait une peur effroyable de sortir à la nuit tombante ; même un coup de sonnette à cette heure la faisait trembler. M. Delbœuf l’hypnotise, la rassure et lui ordonne d’être courageuse à l’avenir ; ses terreurs disparurent comme par enchantement et « sa conduite se modifia en conséquence[1] ». On peut donc agir sur la

  1. Revue philosophique, août 1886. M. Delbœuf.