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CHAPITRE VI


STOÏCISME ET CHRISTIANISME


La critique moderne s’est peut-être trop bornée à apercevoir les ressemblances de la philosophie stoïcienne ou platonicienne et du christianisme ; elle n’a pas assez vu leurs différences, elle n’a pas pu expliquer leur lutte. Au premier abord, par exemple, que d’analogies entre la morale chrétienne et la morale stoïque ? Amour et pratique austère de la vertu, dédain du plaisir, mépris de la souffrance et de la mort, croyance à la fraternité universelle des hommes : autant de traits par où la philosophie stoïque et le christianisme semblent se confondre à nos yeux. Mais ne nous arrêtons pas à ces traits extérieurs de ressemblance ; pénétrons plus avant dans les deux doctrines, et nous verrons comment, sous l’identité apparente des préceptes pratiques, se cache la réelle diversité des principes théoriques. Chrétiens et stoïciens s’accordaient, disons-nous, à aimer, à pratiquer la vertu : mais chez les uns, c’était une antique doctrine que la vertu devait être absolument gratuite, qu’elle devait tirer d’elle-même son prix et sa sainteté : officii fructus est ipsum officium ; virtutis sanctitate suâ se tuentur, dit Cicéron (De finibus, 11, 72, 73), et Sénèque répète à son tour : gratuita est virtus, virtutes prœinium ipsa virtus. Selon les chrétiens, le moindre prix de la vertu, c’est celui qu’elle tire d’elle-même et de la loi humaine ; elle emprunte son plus grand prix à la loi divine et à sa sanction.

« Les vertus que l’âme pense avoir, dit saint Augustin, si elles ne se rapportent à Dieu… si elles se rapportent à