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STOÏCISME ET CHRISTIANISME.

au torrent des choses, essayer de retenir ce qui y tombe, vouloir empêcher de mourir ceux que nous aimons, vouloir retarder notre propre mort : « Va-t’en…, dit-il durement à l’homme ; fais place à d’autres : il faut que d’autres naissent… Que leur resterait-il si on ne te mettait dehors ?… Pourquoi rends-tu par ta présence le monde trop étroit (τί στενοχωρεῖς τὸν ϰόσμον)[1] ? » Non, pourrait-on répondre, l’homme ne veut pas resserrer le monde, mais l’élargir : sa pensée est plus grande que la nature ; elle veut égaler la nature à soi, elle souffre quand elle ne le peut ; c’est là sa vraie dignité. Pour tout ce que la nature renferme d’imparfait, pour tout ce qu’elle nous apporte de mauvais et d’injuste, les stoïciens n’ont eu qu’un seul remède : la « patience ». Il en est un autre, plus efficace peut-être, et qu’ils n’ont pas connu : l’espérance ; l’espérance qui ne nous vient pas d’ailleurs, mais que nous pouvons tirer du plus profond de nous-mêmes ; l’espérance qui naît de la juste confiance en soi, c’est-à-dire de la croyance que nous portons au dedans de nous, avec la volonté, la force suprême.


  1. Entretiens, IV, i, 106.