Page:Guyau - Éducation et Hérédité.djvu/285

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
261
STOÏCISME ET CHRISTIANISME.

où notre volonté trouve les réponses ; par là nous sommes sans cesse contraints d’avancer dans le bien et dans la liberté, ou de retomber dans le mal et dans l’esclavage. Se plaindre de cette alternative, c’est se plaindre qu’il faille chercher le bien : comme si le disciple se plaignait de ce que veut lui enseigner le maître. Loin de là, il faut se réjouir des prétendus maux extérieurs : « les circonslances difficiles montrent les hommes[1]. » Comme les athlètes et les gladiateurs attendent impatiemment le jour de la lutte, ainsi le sage doit se réjouir de combattre dans cette grande arène qui est le monde, en présence de Dieu. Le type idéal du sage, c’est Hercule, le héros fort : comme lui, appuyé sur un bâton d’olivier en guise de massue, son manteau rejeté sur l’épaule gauche ainsi que la dépouille du lion de Némée, le philosophe doit aller à travers le monde, infatigable, invincible non par sa force physique, mais par sa force morale[2] : non seulement il ne doit pas craindre les épreuves, mais il doit courir au-devant et les appeler. Qu’aurait été Hercule sans ses travaux, sans les monstres domptés, sans toutes ces injustices et tous ces maux dont était peuplé l’univers, et dont il a fait sa vertu et sa gloire ? N’ayant rien à combattre, il n’aurait eu rien à vaincre : « s’enveloppant dans son manteau, il se fût endormi. » L’homme, fils de Dieu comme Hercule, doit devenir Dieu comme lui : le but de la souffrance est de le réveiller ; le but du mal physique est d’être transformé par rhomme en bien moral. Tout est donc pour le mieux dans le monde si tout est pour le mieux dans l’homme : de la conception de la liberté humaine parfaitement indépendante et heureuse nait un optimisme universel. L’homme libre et sage devient ainsi une « preuve vivante » de Dieu et de sa providence ; il est le ce témoin » de Dieu auprès des hommes : sa sagesse démontre la sagesse divine, sa justice justifie Dieu.

  1. Ibid., XXIV.
  2. Entretiens. I, 6, 33, sqq. ; II, 16, 44 ; IV, 10, 10 ; III, 22, 24, 13 sqq. ; III, 26, 31. — V. sur le costume du cynique, Gatak., ad Marc. Antonin. iv, 30 ; M. Ravaisson, Essai sur la Met. d’Arist., ii, 120.