idée dans le domaine de la conscience, la suggestion nous montre une idée pénétrant du dehors dans le cerveau d’un individu, s’y enfonçant pour ainsi dire et se transformant ensuite en habitude. La marche est inverse, le résultat pratique est le même.
Nous avons été, croyons-nous, le premier à signaler l’analogie profonde de la suggestion et de l’instinct, ainsi que l’application possible de la suggestion normale et naturelle à l’éducation, de la suggestion artificielle à la thérapeutique, comme correctif d’instincts anormaux ou stimulant d’instincts normaux trop faibles[1]. Toute suggestion est en effet un instinct à l’état naissant, créé par l’hypnotiseur, de même que le chimiste produit aujourd’hui par synthèse des substances organiques. Et comme tout instinct est le germe d’un sentiment de nécessité et parfois même d’obligation, il s’ensuit que toute suggestion est une impulsion qui commence à s’imposer à l’esprit, c’est une volonté élémentaire qui s’installe au sein de la personnalité. Cette volonté, le plus souvent, se croit autonome et libre, et elle ne tarderait pas à dominer l’être, avec tous les caractères du vouloir le plus énergique et le plus conscient, — si elle ne rencontrait pas la résistance d’autres penchants préexistants et vivaces.
Au cas où on pourrait créer ainsi un instinct artificiel durable, il est probable qu’un sentiment mystique et comme religieux s’attacherait bientôt à cet instinct. Suggérer, dans certaines conditions, c’est contraindre physiquement ; avec des conditions beaucoup plus complexes, on pourrait presque obliger moralement. En somme, tout instinct naturel ou moral dérive, selon la remarque de Cuvier, d’une sorte de somnambulisme, puisqu’il nous donne un ordre dont nous ignorons la raison : nous entendons la « voix de la conscience », et nous localisons cette voix en nous, alors qu’elle vient de bien plus loin et qu’elle est un écho lointain renvoyé de génération en génération. Notre conscience instinctive est une sorte de suggestion héréditaire.
M. Delbœuf suggéra un jour à sa domestique M… l’idée d’embrasser un invité, un jeune homme, M. A. Elle s’approcha de lui, hésita, recula, rougit terriblement et cacha sa figure dans ses mains. Le lendemain elle confiait à la femme de M. Delbœuf qu’elle avait eu une singulière
- ↑ Voir la Revue philosophique, 1883.