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CHAPITRE II


DEVOIRS DE L’HOMME ENVERS AUTRUI 
THÉORIES STOÏCIENNES DE LA DIGNITÉ ET DE L’AMITIÉ

I


Nous avons vu le stoïcien se détacher et s’affranchir du monde extérieur, se retirer en lui-même, « pur en présence de sa propre pureté, ϰαθαρὸς μετὰ ϰαθαροῦ σαυτοῦ[1]. » Si telle est la conduite du sage à l’égard des nécessités extérieures, que sera-t-elle à l’égard des autres libertés semblables à la sienne ? Un des premiers devoirs du sage, dans ses rapports avec les autres hommes, sera de conserver sa dignité, ἀξίωμα : « Dis-moi, crois-tu que la liberté soit une grande chose, une chose noble et de prix ? — Comment non ? — Se peut-il donc qu’un homme qui possède une chose de cette importance, de cette valeur, de cette noblesse, ait le cœur bas ? — Cela ne se peut. — Lors donc que tu verras quelqu’un s’abaisser devant un autre, et le flatter contre sa conviction, dis hardiment qu’il n’est pas libre[2]. » Le sentiment de la dignité, que possède chaque homme à un degré plus ou moins haut, fournit un moyen pratique de distinguer le bien du mal dans la conduite extérieure : on est fier du bien qu’on fait, on est humilié du mal[3]. Quand ce sentiment de généreuse fierté s’attache à une action, il faut accomplir cette action, fût-ce au prix de la mort ou de l’exil : ainsi fit Helvidius Priscus, à qui Vespasien disait de ne pas aller au Sénat : « Tant que j’en serai, répondit-

  1. Entretiens, II, xviii, 19.
  2. Ib., IV, i, 54.
  3. Ib., II, xi.