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L’ÉDUCATION MORALE.

se tromper, à ne jamais juger au hasard, en un mot à bien donner son assentiment[1] » « Pourquoi s’occuper de tout cela ? Pour que, là encore, notre conduite ne soit pas contraire au devoir (μὴ παρὰ τὸ ϰαθῆϰον)[2] ? »

Ainsi, selon les stoïciens, la, logique se rattache par le lien le plus étroit à la morale : « se tromper est une faute[3]. » C’est pour éviter toute faute de ce genre, que le stoïcien s’appliquera à l’étude des syllogismes, à la résolution des problèmes captieux, à la dialectique la plus subtile : dès que les passions vaincues lui laissent un instant de repos, il emploiera cet instant, non pas, comme le vulgaire, à s’amuser, à se rendre aux théâtres ou aux jeux, mais à « soigner sa raison, » à l’élever au-dessus de toute erreur, consacrant ainsi à son intelligence le temps que lui laissent ses sens[4]. Le sage idéal, en un mot, ne doit ni rien penser ni rien faire au hasard, « pas même lever le doigt[5] ». Arriver à cet idéal n’est pas facile ; y tendre est toujours possible. Pour cela, il n’est pas besoin d’une aide étrangère : « il faut bander son âme vers ce but » ; « il faut vouloir, et la chose est faite : nous sommes redressés[6] ». « En nous est notre perte ou notre secours[7]. » Nous n’hésiterions pas à secourir quelqu’un qu’on violenterait, et nous tardons à nous secourir nous-mêmes, nous que violentent sans cesse imaginations et opinions fausses ! « Renouvelle-toi toi-même (ἀνανέου σεαυτόν), dit admirablement Marc-Aurèle[8]. D’un homme semblable à une bête féroce la volonté peut faire un héros ou un dieu[9]. Comme Hercule s’en allait à travers le monde redressant les injustices, domptant les monstres, ainsi chaque homme peut, dans son propre cœur, dompter les monstres qui y grondent, les craintes, les désirs, l’envie, plus terrible que l’hydre de Lerne ou

  1. Entret., III, i, 2.
  2. Ib., I, vii.
  3. Ib., I, vii. « Le vulgaire, dit Épictète, ne voit pas quel rapport a avec le devoir l’étude de la logique… ; mais ce que nous cherchons en toute matière, c’est comment l’homme de bien trouvera à en user et à s’en servir conformément au devoir. » (I, vii, 1.)
  4. Ib., III, ix.
  5. Οὐδὲ τὸν δάϰτυλον εἰϰῆ ἐϰτείνειν. Stob. Flor., liii, 58.
  6. Entretiens, IV, ix.
  7. Ibid., IV, ix.
  8. Marc-Aur., IV, iii.
  9. Plutarque, Stoïc. paradox.