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STOÏCISME ET CHRISTIANISME.

intarissable pourvu que tu « fouilles toujours ». Marc-Aurèle comparera encore la volonté humaine à une flamme qui peut seule rendre flamme et lumière tous les objets tombés dans son foyer. Comme les objets extérieurs sont indifférents, les actions extérieures ne sont elles-mêmes ni bonnes ni mauvaises si on les sépare de la volonté raisonnable qui les produit. « Quelqu’un se baigne de bonne heure : ne dis pas qu’il fait mal, mais qu’il se baigne de bonne heure : car, avant de connaître le jugement d’après lequel il agit, que sais-tu s’il fait mal[1] ? » « Serait-ce donc que tout est bien ? Non, mais ce qui est bien, c’est ce que l’on fait en pensant bien ; ce qui est mal, ce que l’on fait en pensant mal[2]. » — Ainsi, dans cette doctrine la raison et la volonté se distinguent et se dégagent des choses sur lesquelles elles agissent ; nos actions ne doivent pas être jugées d’après leurs conséquences agréables ou pénibles, mais d’après l’intention qui les a inspirées ; l’homme ne peut trouver sa condamnation ou sa justification dans les choses, mais seulement dans sa conscience.


Le mal sensible, qui n’a point d’existence au dehors de nous, se ramène en nous à deux formes de notre activité : le désir et l’aversion (ὄρεξις, ἔϰϰλισις. Ce qui nous rend, par exemple, la mort et la douleur pénibles, c’est, d’une part, que nous les prenons en aversion, d’autre part que nous désirons leurs contraires. Craignant la mort et la douleur, nous en venons aussitôt à craindre les hommes qui disposent de la douleur et de la mort : nous voilà esclaves, ce nous attendons notre maître » : il arrivera tôt ou tard ; car, dit Épictète, nous avons jeté entre les choses extérieures et nous le « pont » par où il doit passer. — Au contraire, si nous ne désirons et ne prenons en aversion que ce qu’il dépend de nous d’obtenir ou de fuir, nous aurons par là même placé notre liberté au-dessus des maux sensibles et hors d’atteinte. Supprimer en soi tout désir et toute aversion pour les choses extérieures, « c’est donc là le point principal, le point qui presse le plus. » Celui qui

  1. Manuel, xlv.
  2. Entretiens, IV, vii.