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L’ÉDUCATION MORALE.

eux-mêmes. Ce qui fait la puissance des représentations sensibles, c’est la valeur que nous leur accordons, le consentement que nous leur donnons (συγϰατάθεις) ; rejetons-les, et elles ne pourront plus rien sur nous. À chaque imagination, à chaque apparence qui se présente, disons donc : « Tu es apparence, nullement l’objet que tu parais être[1] ; aussitôt elle deviendra impuissante à émouvoir et à nous entraver. « Ce qui trouble les hommes, ce ne sont point les choses, mais leurs jugements sur les choses[2]. »

Ici apparaît un des côtés les plus originaux de la doctrine stoïcienne : les objets extérieurs sont par eux-mêmes complètement indifférents ; dans notre volonté réside essentiellement le bien, dans notre volonté, le mal[3]. Notre volonté seule pourra donc, par son consentement ou son refus, donner aux choses leur prix, rendre les unes dignes d’être préférées, les autres d’être évitées. Nous recevons passivement des objets extérieurs nos représentations et nos idées ; mais, d’autre part, les objets reçoivent de nous leur qualité. Le plaisir sensible, par exemple, si on le prend à part, est indifférent ; indifférente aussi la douleur ; mais, que je fasse du plaisir un usage conforme à ma liberté et à la raison, le plaisir devient un bien. De même, que je fasse un bon usage de la douleur, la douleur devient un bien. Ainsi la volonté « tire le bien de tout. » Le fait des choses est de nous fournir nos représentations ; notre tâche, à nous, est d’ « user de ces représentations[4]. » Les images du dehors sont la matière indifférente sur laquelle nous imprimons la marque de notre volonté bonne ou mauvaise, comme les souverains impriment leur effigie sur la monnaie, et c’est cette marque qui fait la valeur des choses[5].

La volonté porte donc en elle tout bien et tout mal : « Regarde au dedans de toi, dira Marc-Aurèle ; c’est au dedans de toi qu’est la source intarissable du bien, une source

  1. Manuel, i, 5. — Gell., noct. att., XIX, i.
  2. Ib., v.
  3. Ποῦ τὸ ἀγαθόν ; ἐν προαιρέσει. Ποῦ τὸ ϰαϰόν ; ἐν παροαιρέσει. Ποῦ τὸ οὐδέτερον ; ἐν τοῖς ἀπροαιρέτοις. Entretiens, ii, 16.
  4. . Manuel, vi.
  5. Entretiens, IV, v.