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STOÏCISME ET CHRISTIANISME.

stoïcien n’a plus qu’à lui dire « Cherche et tu trouveras : « ζήτει, ϰαὶ εὑρήσεις[1]. » Mais l’homme ne doit pas chercher la liberté dans les choses du dehors, dans son corps, dans ses biens : car tout cela est esclave. — « N’as-tu donc rien dont tu sois le maître (οὐδὲν αὐτεξούσιον) ? — Je ne sais pas. — Peut-on te forcer à approuver ce qui est faux ? — Non. — Quelqu’un peut-il te forcer à vouloir ce que tu ne veux pas ? — On le peut, car, en menaçant de la mort ou de la prison, on me force à vouloir. — Mais si tu méprisais la mort ou la prison, t’inquiéterais-tu encore de ses menaces ? — Non. — Mépriser la mort est-il en ton pouvoir ? — Oui. — Ta volonté est affranchie[2]. » Ainsi il existe en nous, et en nous seuls, quelque chose d’indépendant : notre puissance de juger et de vouloir. La liberté de l’âme est placée hors de toute atteinte extérieure, ἡ προαίρεσις ἀνανάγϰατος[3] ; elle échappe au pouvoir des choses et des hommes ; car « qui pourrait triompher d’une de nos volontés, sinon notre volonté même ? » Bien plus, elle échappe au pouvoir des dieux : Jupiter, qui nous a donné la liberté, ne saurait nous l’ôter ; ce don divin ne peut, comme les dons matériels, se reprendre. C’est donc là que l’homme trouve son point d’appui, c’est de là qu’il doit se relever. « Si c’était une tromperie, s’écrie Épictète, de croire, sur la foi de ses maîtres, qu’en dehors de notre franc arbitre rien ne nous intéresse, je voudrais encore, moi, de cette illusion[4] ». Le seul obstacle pour l’homme, son seul ennemi, c’est lui-même : lui-même, il se dresse, sans le savoir, les embûches où il tombe[5]. C’est que chez l’homme, outre la faculté de juger et de vouloir, se trouve l’imagination : quoique les choses en elles-mêmes ne puissent rien sur nous, cependant, par l’intermédiaire des images ou représentations (φαντασίαι) qu’elles nous envoient, elles n’ont que trop de puissance. Ces représentations entraînent, ravissent avec elles notre volonté (συναρπάζουσι). Là est le mal, là est l’esclavage. Heureusement ce mal et cet esclavage sont tout intérieurs ; ils portent leur remède avec

  1. Entretiens, IV, i, 51.
  2. Entretiens, IV, i, 68.
  3. Ib., I, xvii, 21 ; II, xv.
  4. Ib., i, iv, 27.
  5. Manuel, i, 3 ; xlviii, 3.