Page:Guyau - Éducation et Hérédité.djvu/264

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
240
L’ÉDUCATION MORALE.

elle-même sa loi, ἐλευθερία, αὐτεξούσιόν τι ϰαὶ αὐτόνομον[1], telle est l’idée qui, après avoir été souvent négligée ou méconnue par la philosophie ancienne, devient dominante dans la doctrine d’Épictète.

Être libre, c’est le bien suprême[2] ; que l’homme étudie donc avant tout l’essence de la liberté, et, pour la connaître qu’il « se connaisse lui-même, » suivant l’ancien précepte non moins cher aux stoïciens qu’aux socratiques[3]. Tout d’abord, lui qui par sa nature aspire à être libre, il s’apercevra qu’il est esclave : esclave de son corps, des biens qu’il recherche, des dignités qu’il ambitionne, des hommes qu’il flatte ; esclave, « alors même que douze faisceaux marcheraient devant lui[4]. » Cet esclavage moral constitue à la fois le vice et le malheur : car, « comme la liberté n’est qu’un nom de la vertu, l’esclavage n’est qu’un nom du vice[5]. »

Celui qui se sera reconnu ainsi « mauvais et esclave » aura fait le premier pas vers la vertu et la liberté[6]. Le

    abandonné, il prit à son service une pauvre femme pour soigner l’enfant. Se donner à la philosophie, puis la donner, la communiquer aux autres, tel fut l’unique but de sa vie. Il se peint lui-même, dans les Entretiens, s’adressant aux premiers personnages de Rome, et leur montrant, à la façon de Socrate, leur ignorance des vrais biens et des vrais maux ; les Romains, plus grossiers que les contemporains de Socrate, reçurent ces vérités avec des injures et des coups. Épictète essaya de parler à la multitude ; il en fut maltraité. Enfin Domitien le chassa de Rome avec tous les philosophes.

    Épictète alla sans doute en exil comme il veut qu’on y aille : en sachant que partout l’homme trouve « le même monde à admirer, le même Dieu « à louer ». Il se retira à Nicopolis, en Épire, et y ouvrit une école où la jeunesse romaine se rendit en foule. Ce fut là probablement qu’il mourut, vers l’an 117, entouré d’une vénération universelle, ayant ranimé pour un instant la grande doctrine stoïcienne qui, si tôt après lui et après son disciple indirect Marc-Aurèle, devait s’éteindre pour de longs siècles.

    Épictète n’écrivit pas. Arrien, l’un de ses disciples, fit la rédaction de ses Entretiens et les publia en huit livres, dont les quatre premiers seulement nous restent ; il écrivit aussi un ouvrage en douze livres sur La vie et la mort d’Epictète, ouvrage perdu en entier. Dans son Manuel, œuvre populaire destinée à répandre chez tous la doctrine de son maître, il résume brièvement et fortement les pensées les plus pratiques d’Épictète. Voir notre traduction du Manuel (librairie Delagrave, 1 vol. in-18).

  1. Entretiens, iv, i, 56.
  2. Ibid., iv, i, 1, sqq.
  3. Ibid., i, xviii, 17 ; iii, i, 18 ; iii, xxii, 53.
  4. Ibid., iv, i, 57.
  5. Stob. Flor., i, 54.
  6. Ib., 48.