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L’ÉDUCATION MORALE.

La suggestion réalise ce que dit Shakespeare. Un sujet hypnotisé à qui l’on persuade qu’il est en danger de périr dans la neige, grelotte de froid. On lui fait trouver que la température de la chambre est excessivement chaude, et il transpire bientôt de chaleur. Pendant le sommeil hypnotique ou pendant la catalepsie, M. Féré a suggéré à des malades l’idée que, sur une table de couleur sombre, il y avait un portrait de profil ; à leur réveil, les malades voyaient distinctement ce portrait à la même place, et si alors on leur mettait un prisme devant l’un des yeux, elles avaient la surprise extrême de voir deux profils. La compression latérale du globe oculaire suffit, chez l’hypnotisé, pour déranger l’axe optique et produire la diplopie. Cela tient, suivant la remarque du docteur Hack Tuke[1], à ce qu’une sensation centrale, d’origine subjective, peut supplanter la sensation née de l’impression périphérique. La sensation suggérée s’imprime sur la région de l’écorce cérébrale où s’imprime habituellement la sensation réelle, — région qui est devenue le siège d’une sorte d’hypnotisme local.

Le gardien du Palais de Cristal, chargé de manœuvrer une machine électrique, a souvent observé que les dames qui venaient prendre les poignées de la machine éprouvaient des sensations particulières et croyaient sincèrement être électrisées, alors que la machine ne fonctionnait pas encore. « En 1862, je fus appelé, dit M. Woodhouse Braine, à administrer le chloroforme à une jeune fille très nerveuse, profondément hystérique, à qui l’on devait enlever deux tumeurs. J’envoyai chercher du chloroforme, et en attendant, pour habituer la jeune fille au masque de l’appareil, je le lui appliquai sur le visage ; immédiatement elle se mit à respirer au travers. Au bout d’une demi-minute elle dit : Oh ! je sens, je sens que je m’en vais ! Le flacon de chloroforme n’était pas encore arrivé. Un pincement faible la laissa indifférente ; je pinçai rudement : à ma grande surprise elle ne sentit rien. L’occasion me parut favorable, et je priai le chirurgien de commencer. Je demandai plus tard à la jeune fille si elle avait senti quelque chose. — Non, dit-elle, je ne sais pas ce qui s’est passé. — À sa sortie de l’hôpital, elle croyait fermement à la puissance de l’anesthésique qu’on lui avait administré. »

  1. Le Corps et l’Esprit, trad. française.