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L’ÉDUCATION MORALE.

général, le caractère doit coïncider en moyenne avec le triomphe des instincts sociaux, puisque la sélection exclut tout individu réalisant un type de conduite anti social. Le poème de la vie exclut les Lara et les Manfred ; dès aujourd’hui on peut affirmer que les hommes qui ont le plus de volonté sont en général ceux qui ont la volonté la meilleure ; que les vies les mieux coordonnées sont les plus morales ; que les caractères les plus admirables au point de vue esthétique le sont aussi en moyenne au point de vue moral ; qu’enfin il suffit de pouvoir établir en soi une autorité et une subordination quelconques pour y établir plus ou moins partiellement le règne de la moralité.

La conscience n’est donc pas seulement une complication, mais aussi, à d’autres égards, une simplification : c’est pour cela qu’elle devait naître, et c’est pour cela qu’elle ne peut pas disparaître par le progrès de l’organisation mécanique. Figurez-vous, d’une manière sensible, la lutte des penchants et des impulsions inconscientes par une bataille corps à corps entre des hommes luttant à tâtons, dans la nuit : le jour se lève, montre l’état respectif des armées et du même coup décide la bataille. Même quand le résultat final du combat ne serait pas changé, il est avancé de beaucoup, une dépense considérable de force et de vie est ainsi évitée : c’est précisément ce qui se produit quand la conscience met au jour la lutte obscure des penchants. Elle nous permet de saisir immédiatement la force respective de chacun d’eux, force le plus souvent proportionnelle à la généralité des idées que chaque penchant représente, et elle nous épargne le lent tiraillement intérieur, le déchirement de luttes inutiles. Remarquons d’ailleurs que l’inconscience, comme la nuit, est toujours relative : il est probable qu’il y a partout des degrés inférieurs de conscience, comme il y a de la lumière en toute ombre. Si l’idée ne crée pas de force à proprement parler, elle en économise beaucoup. Mais, dire qu’elle ne fait qu’avancer le résultat, ce n’est peut-être pas assez : elle peut modifier les relations des forces. L’influence d’une idée ou, si l’on veut parler physiologiquement, d’une certainevibration du cerveau, est d’habitude proportionnelle au nombre d’états du système nerveux dont elle est concomitante. Or, dans la réalité, pour qu’un être inconscient expérimente cette force d’une