Page:Guyau - Éducation et Hérédité.djvu/242

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
218
L’ÉDUCATION MORALE.

contours d’un acte conscient, elle peut devenir irrésistible[1].

3o La conscience peut agir par elle-même comme excitateur général de l’organisme. M. Féré a cherché à démontrer, par des expériences psycho-physiologiques, que toute sensation non pénible est un stimulant de la force. Si l’on admet ainsi une puissance dynamogène de la sensation, il n’est pas illogique d’admettre que la conscience, qui fait le fond de toute sensation et même n’est à l’origine qu’une sensation, participe à cette puissance dynamogène. « Nous aimons les sensations », dit Aristote ; si nous les aimons, c’est qu’elles ont sur nous, semble-t-il, un véritable effet tonique ; mais nous aimons aussi à avoir conscience, et il est probable que nous en retirons un avantage immédiat de force générale.

4o La conscience simplifie, dans de grandes proportions, ce que j’appellerai la circulation intérieure, le cours des idées, leur relation l’une avec l’autre, qui rend possible leur comparaison, leur classification.

Comme l’idée fait la vie de l’intelligence, elle fait aussi la vie de la volonté, qui est proprement la vie morale. La force d’une idée, en effet, est en raison directe du nombre d’états de conscience que l’idée se trouve dominer et régler. Celui qui agit conformément à une idée sentira cette force intellectuelle et régulatrice en raison inverse de l’impulsion toute physique et aveugle à agir qu’il subira au même moment. Or, agir selon des idées, c’est par cela même vouloir, c’est le commencement de la vie morale. Grâce à l’idée, toute action est aussitôt formulée devant l’agent moral et classée par lui ; elle va d’elle-même se ranger dans la série d’états de conscience caractérisée par tel sentiment ou telle sensation, tandis que les signes particuliers et objectifs de cette action sont considérés comme secondaires : cette classification devient presque instantanée par l’effet de l’habitude ; elle a même lieu dans le sommeil somnambulique comme dans la veille. Penser une action, c’est déjà la juger sommairement, se sentir attiré ou repoussé par tout un groupe de tendances auxquelles elle se rattache. La caractéristique des peuples très primitifs et des enfants en bas âge, c’est que les impulsions morales n’ont chez eux rien de constant

  1. Voir plus haut notre chapitre sur la suggestion.