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BUT DE L’ÉVOLUTION ET DE L’ÉDUCATION.

Le terme de conscience sert à désigner un état mental qui, dans ses conditions physiologiques, est certainement plus complexe que l’état d’inconscience ; cet état, une fois produit, constitue (même au point de vue physiologique) parmi les forces composantes qui agissent en nous, une nouvelle unité de force. C’est pour cette raison qu’on a soutenu la théorie des « idées-forces », à laquelle les pages suivantes sont une contribution.

Le phénomène conscient ne se comporte pas absolument de la même façon, dans la chaîne des phénomènes physiologiques, qu’un phénomène purement inconscient, et il y introduit une force nouvelle.

En effet, 1o la conscience est d’abord un complément d’organisation, par lequel un phénomène vient se rattacher dans le temps à un autre comme antécédent ou conséquent. L’idée de temps est évidemment postérieure à la conscience même ; or il n’y a pas d’organisation complète, même pour une intelligence conçue comme purement automatique, en dehors du temps, qui introduit une suite dans les phénomènes, un lien au moins apparent de causalité empirique[1]. Le fait d’avoir conscience nous permet de «reconnaître les phénomènes comme ayant occupé une position précise entre d’autres états de conscience[2]. » Enfin, il nous fournit cette idée essentielle que ce qui a été fait une fois peut être recommencé, que nous pouvons nous imiter nous-mêmes, ou au contraire nous différencier de nous-mêmes, nous modifier.

2o La conscience, constituant une organisation meilleure et, à certains égards, une concentration des phénomènes psychiques, constitue aussi un centre d’attraction pour les forces psychiques. Il en est de l’esprit comme de la matière sidérale, qui attire en raison de sa condensation en noyau. La conscience est de l’action concentrée, solidifiée, cristallisée en quelque sorte. De plus, cette action est transparente pour elle-même : c’est une formule qui se sait ; or, tout acte formulé nettement acquiert par là-même une force nouvelle d’attraction et de séduction. Toute tentation vague et mal déterminée pour la conscience reste facile à vaincre ; dès qu’elle se détermine, se formule et prend les

  1. Voir notre étude sur la Genèse de l’idée de temps.
  2. Voir M. Ribot, Maladies de la mémoire.