n’a de prise ni sur l’un ni sur l’autre. M. Fouillée, au contraire, attribue aux idées une force, et croit que toute idée qui répond à un sentiment tend à quelque action. De même, selon M. Espinas, lorsque la volonté et les émotions sont, chez un peuple, atteintes de maladies irrémédiables, liées elles-mêmes à l’usure organique ou à quelque altération profonde du tempérament, dans ce cas il est sans doute chimérique d’espérer que le salut viendra des connaissances enseignées dans les écoles ; mais, tant qu’il reste quelque espoir (et nul n’a le droit de désespérer de la patrie), si une action efficace peut être exercée sur ce peuple, si la volonté peut être raffermie en lui et le jeu des émotions redevenir normal, c’est par les idées, et par des idées vraies, c’est-à-dire par la science, que la guérison et le relèvement peuvent être obtenus[1]. Examinons donc de plus près le rôle de la conscience dans l’évolution psychique en général et dans l’évolution morale en particulier.
- ↑ « Qu’est-ce en effet que le sentiment, dit M. Espinas, sinon l’ébranlement résultant d’une vue plus ou moins obscure des dangers ou des avantages qui peuvent nous venir des choses ? Qu’est-ce que le vouloir, aussi instinctif qu’on le suppose, sinon l’impulsion de celle de nos idées à laquelle le sentiment le plus fort a été attaché par l’hérédité ou par l’habitude ? Or, ne dépend-il pas, dans une certaine mesure, de l’éducateur de communiquer à certaines idées une force prépondérante, en montrant leurs liaisons avec les intérêts les plus pressants, puis de plier le vouloir par l’habitude à subir l’ascendant de ces idées ? Et le caractère ne peut-il être ainsi modifié à la longue, enfin le tempérament, pour autant que la vitalité dévolue à la race le comporte ? Si cela est faux, qu’on nous montre le moyen d’agir directement sur le vouloir et sur ses sources émotionnelles ! Peut-être dira-t-on que, par l’émotion communicative de la parole inspirée, par l’exemple, par l’autorité de l’accent et du geste, par les beaux-arts, on peut susciter des sentiments nouveaux ; mais encore faudra-t-il admettre que l’éloquence et la poésie comptent parmi les beaux-arts, que l’accent est celui d’une voix qui se sert de mots, que l’exemple est commenté par des discours, et que l’émotion de l’éducateur va remuer le cœur du disciple après avoir traversé sa pensée ; sans quoi on se trouverait en présence d’une pédagogie mystérieuse qui opérerait dans le silence comme la grâce et laisserait l’enseignement pour la prière. Il faut choisir : ou on essaiera de modifier le vouloir par l’idée, ou on renoncera à réformer le vouloir. Ainsi donc, pour élever la jeunesse, pour constituer des méthodes d’éducation, la science psychologique et sociale, c’est-à-dire la connaissance exacte des lois de l’esprit et des conditions d’existence où il se meut, ne peut pas tout, mais elle peut tout le possible. Là où la science paraîtra impuissante, c’est qu’il n’y aura eu rien à tenter. Ce n’est pas la faute du levier si le bras qui le saisit le trouve trop lourd. »