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BUT DE L’ÉVOLUTION ET DE L’ÉDUCATION.

des machines, des instruments sous la main de l’homme, et parmi ces instruments, le premier de tous est le savoir organisé en habitude, l’instruction. Mais la possession de machines toujours plus compliquées ne tend nullement à transformer l’homme en machine ; au contraire, plus s’accroît le nombre de nos instruments externes ou internes, plus monte en nous la masse de nos perceptions inconscientes et du savoir emmagasiné, plus augmente aussi notre puissance d’attention volontaire : notre puissance et notre conscience se développent simultanément. Il serait naïf de croire que la part de l’inconscient soit plus forte chez un savant que chez un paysan, par exemple ; chez le savant, l’inconscient est sans doute beaucoup plus compliqué, il offre, comme son cerveau, des circonvolutions et des sinuosités sans nombre, mais la conscience est aussi développée dans des proportions plus fortes. Il est étrange, en somme, d’avoir à démontrer que l’ignorance seule est routine, et non pas la science. Comme la sphère du savoir, en s’accroissant, augmente toujours les points de contact avec l’inconnu, il s’ensuit que toute adaptation de l’intelligence au connu ne fait que lui rendre plus facile et plus nécessaire une réadaptation à une autre connaissance plus étendue. Savoir, c’est être entraîné tout ensemble à apprendre davantage et à pouvoir davantage. C’est pour cela d’ailleurs que la curiosité augmente avec la science et l’instruction : l’homme inférieur n’est pas curieux dans le vrai sens du mot, curieux d’idées nouvelles, de généralisations plus hautes. Ce qui sauvera la science, c’est ce qui l’a constituée et la constituera encore, la curiosité éternelle. Et quoique la science tende à se servir toujours davantage de l’habitude et de l’acte réflexe, à élargir ses bases dans l’inconscient comme on élargit toujours les fondations d’un haut édifice, on peut affirmer qu’elle est la conscience toujours plus lumineuse du genre humain, que le savoir pratique et le pouvoir pratique de l’homme auront toujours pour mesure sa puissance de réflexion intérieure.

M. Ribot déclare que notre pédagogie est tout entière fondée sur une immense erreur, parce qu’elle espère le relèvement du pays d’une meilleure organisation de l’enseignement. L’action ne dépend pas, ajoute-t-il, de l’intelligence, mais du vouloir et du sentiment, et l’instruction