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L’ÉDUCATION MORALE.

tions à venir que si on suppose l’homme placé éternellement dans un milieu identique, c’est-à-dire le monde arrêté dans son évolution. Or, un tel arrêt n’est ni admissible scientifiquement ni pratiquement souhaitable ; il n’offre aucun des caractères de l’idéal. L’idéal pour l’homme n’est donc pas l’adaptation une fois pour toutes au milieu, adaptation qui aboutirait en effet à l’automatisme et à l’inconscience ; c’est une facilité croissante à se réadapter aux changements du milieu, une flexibilité, une éducabilité qui n’est autre chose qu’une intelligence et une conscience toujours plus parfaites. Si, en effet, s’adapter aux choses est œuvre d’habitude inconsciente, s’y réadapter sans cesse est la caractéristique de l’intelligence consciente et de la volonté, l’œuvre même de l’éducation. La conscience n’est pas purement et simplement un acte rétlexe arrêté, comme les psychologues contemporains la définissent si souvent ; c’est un acte réflexe corrigé, remis en rapport avec les changements du milieu, plutôt remonté qu’arrêté. Et l’idéal n’est pas de supprimer cette réadaptation au milieu, mais de la rendre continue par la prévision consciente des changements que doit amener la double évolution de l’homme et du monde. Cette prévision consciente supprimera les chocs, les surprises, les douleurs, non pas en augmentant la part de l’automatisme, mais en augmentant celle de l’intelligence : l’intelligence seule peut nous préparer pour l’avenir, nous adapter à l’inconnu partiel du temps et de l’espace. Cet inconnu, quoique non présent encore à nous, est préfiguré par des idées, par des sentiments ; de là un milieu moral et intellectuel, un milieu conscient auquel nous ne pouvons pas échapper, et qui nous garantira toujours contre l’automatisme.

Il est très superficiel de croire que la science et l’éducation scientifique tendent à l’automatisme parce qu’elles se servent de la mémoire pour y emmagasiner et y organiser les faits, et que d’autre part la mémoire, étant automatique, aboutit au souvenir inconscient, à l’habitude ; en d’autres termes à l’acte réflexe. La science aurait ainsi pour idéal la routine, conséquemment son contraire même. On oublie que la science n’est pas constituée seulement par le savoir acquis, mais par la manière dont on emploie ce savoir pour connaître toujours davantage et aboutir à des actions nouvelles. Le progrès augmente constamment le nombre