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L’ÉDUCATION ET L’ASSOLEMENT.

à s’épargner soi-même, à ne pas considérer chez lui ou chez ses enfants un talent quelconque comme une poule aux œufs d’or qu’il faut tuer, à regarder enfin la vie comme devant être non exploitée, mais conservée, augmentée et propagée.

La conséquence de ce principe d’épargne physiologique en éducation, c’est l’art de mesurer et de diriger la culture, surtout la culture intellectuelle, de ne pas la rendre trop intensive, trop limitée à un seul point de l’intelligence, mais d’en proportionner toujours l’extension à l’intensité. Un principe non moins important doit être l’alternance des cultures elles-mêmes dans la race. L’assolement en éducation devrait être une règle aussi élémentaire qu’en agriculture, car il est absolument impossible de cultiver toujours avec succès telle plante dans la même terre, ou telle aptitude dans la même race. Il viendra un jour, peut-être, où on distinguera les occupations susceptibles d’épuiser ou d’améliorer une race, comme on distingue en agriculture les plantes épuisantes ou améliorantes du sol. L’occupation saine par excellence, c’est bien évidemment celle de laboureur ou de propriétaire campagnard, et le moyen de conserver une suite de générations robustes et brillantes tout ensemble, ce serait de faire alterner pour elles le séjour des villes et celui des champs, de les faire se retremper dans la vie végétative du paysan, toutes les fois qu’elles se seraient dépensées dans la vie intellectuelle et nerveuse des habitants des villes. Cet idéal, dont nous sommes loin dans notre pays, serait facilement réalisable, car nous le voyons réalisé le plus souvent en Angleterre, où l’importance de la propriété territoriale, où les habitudes d’une vie un peu plus sauvage que la nôtre font que l’aristocratie et la bourgeoisie anglaises passent la plus grande partie de leur existence séculaire dans des manoirs ou des cottages, livrées à ces occupations de la campagne qui sont une détente de tout l’organisme.

Sans vouloir tracer la moindre ligne de conduite à suivre dans des conjonctures aussi complexes que le choix d’une profession, nous croyons que c’est un devoir pour l’éducateur de ne jamais presser le fils de suivre la profession du père, toutes les fois du moins que cette profession, comme celle d’artiste, d’homme politique, de savant, ou