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L’ÉDUCATION MORALE.

de la mère que de condenser toute la moralité dans l’amour filial, qui en est nécessairement la première forme. La crainte de « faire de la peine à sa mère » est le premier remords de l’enfant, il est longtemps le seul ; il faut que ce remords naïf soit affiné par les soins de la mère, rendu profond comme l’amour, et que dans cette formule rentrent les sentiments les plus hauts. Le cœur de sa mère est sa conscience ; il faut donc en effet que ce cœur soit toute la conscience humaine en raccourci.

En somme, dans l’éducation de la femme il s’agit de concilier deux grands principes opposés. Si, d’une part, disposant d’une moindre force que l’homme, la femme ne peut fournir à une égale dépense de travail intellectuel ; d’autre part, étant destinée à être la compagne de l’homme et l’éducatrice de l’enfant, elle ne doit être étrangère à aucune des occupations, à aucun des sentiments de rhomme.

Par cela seul qu’il s’impose de plus en plus au jeune homme, le travail intellectuel s’impose aussi à la jeune fille. Vouloir le supprimer presque totalement pour cette dernière, dans la crainte d’entraver son développement physique et dans l’intention de restituer un jour à l’homme, par sa mère, la force corporelle que la culture intellectuelle de son père lui retire, c’est rêver une œuvre boiteuse. L’enfant hérite non seulement des bonnes qualités physiques et intellectuelles de ses père et mère, mais aussi des mauvaises, et l’on risque, en nombre de cas, d’ajouter à la délicatesse de santé paternelle la paresse et la lenteur d’esprit d’une mère peu cultivée. La mère qui transmet à son enfant une robuste constitution lui fait certes un don inappréciable, mais c’est le doubler que de savoir développer cette belle santé native et, des forces vives de son enfant, faire sortir intelligence, énergie, volonté. Or cette seconde maternité, qui est celle du cœur et de l’esprit, est plus difficile encore à préparer que la première : c’est pourquoi elle doit préoccuper l’éducateur au moins dans une égale mesure. Avant de songer aux fils futurs d’une fillette, il est rationnel de s’occuper de la fillette en elle-même, et cela d’une façon complète, c’est-à-dire au triple point de vue physique, moral et intellectuel. « À vouloir marcher plus vite que les violons, dit le proverbe populaire, on perd la mesure ; » une prévision à trop longue