Page:Guyau - Éducation et Hérédité.djvu/214

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
190
L’ÉDUCATION MORALE.

heure, et on se présente avant d’être tout à fait prêt, pour s’accoutumer à l’examen. « Avec cette triple recette, dit M. Jules Simon, si l’on n’est pas décidément stupide, si on ne tombe pas malade, et si on ne joue pas de malheur, on est à peu près sûr d’entrer à l’École polytechnique. » L’Université a des professeurs, non des préparateurs ; mais, si elle refuse d’entrer dans ce système d’entraînement, elle perdra tous ceux de ses élèves qui se destinent aux écoles du gouvernement ; elle est donc obligée de se mettre à l’unisson par nécessité. Et il en résulte cette singulière contradiction, signalée par M. Cournot, « que l’État paye des préparateurs pour faire prendre le change aux examinateurs sur la valeur réelle des candidats, et des examinateurs pour déjouer les artifices de ces préparateurs ». On dit quelquefois que la concurrence est une bonne chose, qu’elle est un aiguillon pour chacun des concurrents, qu’elle les oblige à mieux faire. Cela n’est pas aussi certain qu’on veut bien le dire, répond M. Jules Simon, surtout en matière d’enseignement ; cela est absolument faux en matière de préparation ; car on ne lutte pas à qui fera les meilleurs élèves, mais à qui fera recevoir le plus de candidats. L’Université subit ici un régime dont elle n’est pas responsable. Par malheur, l’École polytechnique, comme l’École de Saint-Cyr, dépend du ministre de la guerre, ordinairement incompétent en matière d’instruction. Une réforme que toutes les familles appellent de leurs vœux consisterait à reculer de deux ou trois ans la limite d’âge maximum. Le ministre de la guerre la refuse aujourd’hui parce qu’il l’a refusée hier. On comprend une limite sévère pour la marine, car il faut s’habituer de bonne heure à la mer ; et pourtant les jeunes gens qui deviennent élèves de première classe en sortant de l’École polytechnique ne sont pas pour cela de mauvais marins. Mais pour les autres carrières, où est la difficulté d’y entrer deux ou trois ans plus tard ? On n’est reçu à l’École polytechnique que jusqu’à vingt et un ans, à moins d’avoir deux ans de service effectif dans l’armée ; dans ce dernier cas, il suffit de n’avoir pas, au 1er  juillet de l’année du concours, dépassé l’âge de vingt-cinq ans : donc l’École polytechnique peut, sans inconvénient pour elle, recevoir des élèves de vingt-cinq ans ; donc elle a tort de fixer la limite d’âge à vingt ans, à son propre détriment, au détri-