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L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE ET SUPÉRIEUR.

la nature vaut surtout, pourrait-on dire, par ce qu’elle contient d’humanités.

L’enseignement scientifique développe moins qu’on pourrait le croire le raisonnement, car il fournit à l’esprit des faits et des formules préparées ; il n’exerce pas à penser par soi-même, il ne communique pas l’initiative, qui est le fond de toute pensée personnelle. D’autre part, il ne cultive guère l’imagination, qui est surtout exercée par l’éducation esthétique. L’enseignement philosophique seul développe le raisonnement, ainsi que l’enseignement littéraire bien entendu. Les mathématiques avec leur rigueur et leur précision apparente, peuvent apprendre à cacher la faiblesse des raisons sous la force des raisonnements ; elles donnent des formules simples qui sont incapables d’enserrer la réalité et détruisent « cet esprit de finesse » qui est le sens droit de la vie. Les mathématiciens s’imaginent avoir des formules infaillibles parce qu’elles sont tirées des mathématiques, et ils en ont sur toute chose ; tout est classé, étiqueté, et d’une manière indiscutable : discute-t-on avec une formule ? Même dans les sciences physiques, l’enseignement exclut toute possibilité de douter des faits admis et enregistrés par la science. Il est vrai qu’en certains cas le maître, s’il a les appareils nécessaires, pourra faire, sous les yeux de l’élève, une démonstration pratique des principes qu’il enseigne. Mais cette démonstration est une simple « illustration » qui ne développe en rien le mécanisme du raisonnement inductif ? Herbart a raison de le dire, l’enseignement des sciences, dans les collèges, favorisera toujours avant tout la faculté déductive : pour que le contraire eût lieu, il faudrait que l’élève pût, comme dans les exercices de grammaire et de littérature, vérifier et contrôler sans cesse telle loi qui ne fût pas évidente par elle-même ou qui ne s’imposât pas à l’esprit avec une force irrésistible. Il est permis de douter de la justesse d’une application grammaticale et d’une expression ; l’élève peut sans inconvénient la critiquer, la tenir pour hasardée, hésiter sur l’application de la règle ; mais on ne se le figure pas « doutant de l’exactitude de la table de logarithmes ou des lois de la gravitation universelle. »

L’essentiel, dans l’enseignement scientifique, c’est la méthode même d’enseignement ; or, elle est passive et