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L’ÉDUCATION MORALE.

sions historiques, analogues à celles que font les botanistes et les géologues : champs de bataille, vieilles rues des cités, toiles et marbres des musées, cathédrales et hôtels de ville, manuscrits et vieux livres des bibliothèques. On distribuerait une besogne personnelle aux divers élèves, on leur apprendrait à se faire eux-mêmes une opinion, à ne pas croire légèrement, à ne pas affirmer trop vite.


III. En dehors de la somme de science étroite et positive indispensable dans la pratique de la vie, tout enseignement scientifique restreint est stérile. Qu’il soit plutôt vague, mais large, car la science vaut plus encore par les vues générales, par les perspectives qu’elle nous ouvre sur les choses que par la connaissance de ces choses en elles-mêmes ; elle vaut plus par les inductions tirées des faits que par les faits acquis. En un mot la science même de

    s’écria-t-il, le mouvement tournant a eu lieu beaucoup plus tard, je me rappelle parfaitement les ordres que j’ai donnés et pourquoi je les ai donnés. — Mais, disait celui à qui il s’adressait, c’est moi à qui vous les avez donnés, et je crois bien me les rappeler aussi. Bref, le projet, rectifié une première fois, le fut une seconde ; de sorte qu’il ne resta rien du rapport primitif. Ajoutons que, pour faire un rapport général sur la bataille, il a fallu toucher à tous les rapports partiels, ajouter ici, rogner là, afin de les ajuster ensemble. Ainsi, ajoute le narrateur de cet épisode, pour un fait qui n’a duré que quelques heures, où tout s’est passé en plein soleil, les documents en apparence les plus véridiques, écrits sans aucun esprit de parti par les hommes les mieux placés pour connaître la vérité, ne peuvent nous inspirer, quant aux détails, qu’une très médiocre confiance. Que sera-ce donc quand il s’agira d’événements politiques où l’intrigue jouera son rôle et où tous les acteurs seront portés par la passion à présenter l’histoire d’une manière différente ? M. d’Harcourt conclut de cette difficulté d’avoir la connaissance exacte des faits que l’histoire donne à la science sociale une base peu solide. Selon lui, l’expérience individuelle, c’est-à-dire la connaissance d’un très grand nombre de faits, tels que le cours naturel des événements les amène, la connaissance acquise non par des récits ou des lectures contradictoires, mais par l’observation personnelle, sans intermédiaire, par suite la maturité de l’âge et la pratique des affaires, constituent la plus sûre voie d’investigation dans toute étude faite sur les sociétés humaines et dans la plupart des études historiques. « Aucun livre ne remplace l’expérience. C’est elle qui éclaire le mieux les actions des hommes ; elle permet d’en pénétrer les mobiles bien plus sûrement que l’histoire, toujours incertaine en elle-même, toujours obscure pour l’homme qui n’a eu aucune pratique des affaires. » On ne peut méconnaître qu’il y a une grande part de vérité dans ces paroles.