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L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE ET SUPÉRIEUR.

l’enseignement littéraire. Ainsi faisaient les antiques éducateurs de l’Inde, de l’Égypte, de la Grèce, de Rome ; ainsi avons-nous fait nous-mêmes jusqu’à ces derniers temps. M. Manœuvrier dit, avec beaucoup de justesse, qu’il y a essentiellement, en chacun de nous, un poète et un orateur ; ce poète ou cet orateur surgit à un moment donné, pour exprimer nos émotions, nos passions, nos ambitions. C’est à ces formes intimes de notre être, à ces éléments essentiels de notre humanité que s’adresse la culture littéraire ; et c’est là ce qui a fait dire qu’elle est l’intérêt suprême de l’éducation. Or, par quelle méthode initier les jeunes gens à la poésie, à l’éloquence ? Suffira-t-il de leur en raconter l’histoire ? Suffira-t-il de les faire lire ? Forme-t-on un sculpteur ou un peintre « en racontant Michel-Ange et Raphaël, en montrant le Moïse et la Sainte-Famille ? » Non, il faut composer, fabriquer des vers, même de mauvais vers, et des discours, même de mauvais discours, et des narrations, et des descriptions. C’est en apprenant à mettre de l’ordre dans ses idées qu’on finit par acquérir de nouvelles idées, résultats de l’association et de la suggestion.

Sans doute il ne faut pas tomber dans le culte exclusif de la forme, mais pour cela il y a un sûr moyen : introduire de bonne heure dans nos classes les études morales, civiques, esthétiques, en un mot philosophiques. En y joignant un enseignement des sciences d’un caractère également philosophique et même esthétique, qui montrera le côté grand et beau des vérités, on habituera les élèves à penser et à sentir, à ne pas parler pour ne rien dire. Pour unir, coordonner en les simplifiant les études littéraires et les études scientifiques, il faut un moyen terme, qui est l’étude des sciences morales et sociales, de la philosophie de l’art, de la philosophie de l’histoire, de la philosophie des sciences. L’enseignement philosophique est utile non seulement aux esprits supérieurs, mais aussi aux esprits peu cultivés, incapables d’agir par eux-mêmes. Ce n’est pas qu’un esprit médiocre ne puisse retenir un certain nombre de détails précis, bien au contraire ; mais ce sont les grandes lignes reliant les faits les uns aux autres qui lui échappent. Ces grandes lignes, un enseignement scientifique même approfondi sur un point déterminé ne les lui fera point connaître ; l’enseignement littéraire, pas