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L’ÉDUCATION MORALE.

trouvés. Là-dessus, il n’y a pas de contestation : si on peut apprendre aux enfants assez de grec et de latin pour leur faire étudier les chefs-d’œuvre de l’antiquité, personne ne nie qu’il y ait là la meilleure éducation littéraire, comme l’étude de la sculpture, grecque ou de la peinture italienne est la meilleure éducation pour les arts plastiques.

L’antiquité greco-latine a une qualité d’importance majeure au point de vue pédagogique : elle n’est pas romanesque. Elle ne risque donc pas de développer chez les jeunes gens une imagination vagabonde, tantôt à la poursuite de chimères, tantôt perdue dans le vague des rêveries ; elle ne risque pas non plus de développer une sensiblerie plus ou moins factice. En transportant les enfants dans un milieu lointain et différent du nôtre, elle les empêche de saisir prématurément ce qu’il peut y avoir de trop passionné et de trop passionnant dans la littérature. À cette distance, tout s’apaise, tout se réduit à une beauté plus intellectuelle qu’émouvante, La raison est d’ailleurs la caractéristique de la littérature ancienne, surtout de la romaine, et les enfants ont besoin avant tout de raison, de bon sens et de bon goût.

On objecte la difficulté et la longueur des études greco-latines, et on propose de les remplacer par les langues vivantes, nous répondrons que, dans la pratique, ce dernier enseignement dériverait malgré lui vers l’utilitarisme : il a pour but surtout d’apprendre à parler les langues étrangères, qui offrent une utilité trop immédiate et trop visible. En outre, les grands génies allemands et anglais n’ont pas assez les qualités classiques. Les littératures modernes sont tantôt un peu barbares, tantôt trop raffinées et déséquilibrées, presque toujours trop passionnées, trop envahies par ce que Pascal appelait les passions de l’amour. La femme est la muse inspiratrice des littératures modernes, et il y a danger à introduire trop tôt dans l’esprit des enfants l’obsession de l’éternel féminin. Les amours grecques et romaines sont si loin, et si vagues, qu’elles n’ont généralement pas la même influence perturbatrice. Encore faut-il passer là-dessus rapidement et choisir plutôt dans les auteurs anciens l’expression des sentiments relatifs à la patrie ou à la famille. Enfin, nous nous rattachons historiquement et héréditai-