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PRÉFACE.

sociales sont mortels pour la race en général. Tout le monde parle de « l’existence dévorante » des grandes villes sans se douter que ce n’est pas là une figure, mais proprement une vérité. Les villes, disait Jean-Jacques Rousseau, sont les « gouffres » de l’espèce humaine. Il faut en dire autant, non seulement des villes, mais de la plupart des lieux où l’on brille, des théâtres, des assemblées politiques, des salons ; toute surexcitation nerveuse trop continue chez un individu introduira dans sa race, en vertu de la loi du balancement des organes, soit l’affaiblissement cérébral, soit les maladies du système nerveux, soit telle ou telle autre forme de la misère physiologique, qui aboutira un jour à la stérilité. Comme il y a, suivant les statisticiens, des provinces dévoratrices, des villes dévoratrices, des lieux qui ne se peuplent qu’aux dépens des endroits voisins et font le vide tout alentour, il y a aussi des professions dévoratrices ; et ce sont souvent les plus utiles aux progrès du corps social, les plus tentantes en même temps pour l’individu même. Enfin, on est allé jusqu’à soutenir que toute supériorité intellectuelle dans la lutte pour la vie était un arrêt de mort pour la race, que le progrès se faisait par une véritable consommation des individus ou des peuples mêmes qui y travaillaient le plus, que la meilleure condition pour durer était de vivre le moins possible intellectuellement, et que toute éducation qui travaille à surexciter les facultés d’un enfant, à en faire un être rare et exceptionnel, travaille par cela même à le tuer dans son sang et sa race. Nous croyons que cette assertion est vraie