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L’ÉCOLE.

« Qui enseignera en France ce qu’est la patrie française ? demande M. Lavisse. Ce n’est pas la famille, où il n’y a plus d’autorité, plus de discipline, plus d’enseignement moral ; ni la société, où l’on ne parle des devoirs civiques que pour les railler. C’est à l’école de dire aux Français ce qu’est la France. La fin dernière de l’enseignement historique sera de mettre dans le cœur des écoliers de toutes les écoles un sentiment plus fort que cette « vanité frivole et fragile », insupportable dans la prospérité, mais qui, s’effondrant dans les calamités nationales, fait place au désespoir, au dénigrement, à l’admiration de l’étranger et au mépris de soi-même[1].

    loi, par exemple. Comment ! on a dit à des brigands : « Restez tranquilles du samedi soir au mercredi matin, mais le reste du temps, ne vous gênez pas, battez-vous, brûlez, pillez, tuez ! » Ils étaient donc fous, ces gens-là ? » Une voix : « Bien sûr. — Mais non, ils n’étaient pas fous. Écoutez-moi bien. Il y a ici des paresseux. Je fais ce que je puis pour qu’ils travaillent toute la semaine ; mais je serais à moitié content de les voir travailler jusqu’au mercredi. L’église aurait bien voulu qu’on ne se battît pas du tout ; mais, comme elle ne pouvait l’obtenir, elle a essayé de faire rester les seigneurs tranquilles une moitié de la semaine. C’était toujours cela de gagné. Mais l’église n’a pas réussi. Il fallait la force contre la force, et c’est le roi qui a mis tous ces gens à la raison. » Alors le maître explique que les seigneurs n’étaient pas égaux les uns aux autres, qu’il y avait au-dessus du maître de tel château un seigneur plus puissant et plus élevé, habitant dans un autre château. Il donne une idée, presque juste, de l’échelle féodale, et tout en haut, il place le roi. « Quand des gens se battent entre eux, qui est-ce qui les arrête ? » Réponse : « Les sergents de ville. — Eh bien, le roi était un sergent de ville. — Qu’est-ce qu’on fait de ceux qui ont battu et tué quelqu’un ? » Réponse : « On les juge. — Eh bien, le roi était un juge. Est-ce qu’on peut se passer de gendarmes et de juges ? — Non, monsieur. — Eh bien, les anciens rois ont été aussi utiles à la France que les gendarmes et les juges. Ils ont fait du mal dans la suite, mais ils ont commencé par faire du bien. Qu’est-ce que je dis ? aussi utiles ? Bien plus ; car il y avait alors plus de brigands qu’aujourd’hui. C’étaient des gens féroces que ces seigneurs, n’est-ce pas ? » La classe : « Oui, monsieur. — Et le peuple, mes enfants, valait-il mieux ? » Réponse unanime, d’un ton convaincu : « Oui, monsieur. — Eh bien, non, mes enfants. Quand ils étaient lâchés, les gens du peuple étaient des gens terribles. Ils pillaient, brûlaient, tuaient, eux aussi ; ils tuaient les femmes et les enfants. Pensez qu’ils ne savaient pas ce qui était bien, ni ce qui était mal. On ne leur apprenait pas à lire. »

    « Sur ce mot, qui n’est qu’à moitié juste, dit M. Lavisse, finit une leçon qui avait duré à peine une demi-heure. Formons des maîtres comme celui-là. Mettons dans leurs mains des livres où ils trouvent, simplement exposés, les principaux faits de l’histoire de la civilisation. Ne deviendront-ils pas capables d’enseigner aux enfants l’histoire de la France ? »

  1. « Négligez les vieilleries, répète-t-on souvent. Que nous importent Mérovingiens, Carolingiens, Capétiens mêmes ? Nous datons d’un siècle à peine. Commencez à notre date. » Belle méthode, pour former des esprits solides et calmes, répond M. Lavisse, que de les emprisonner dans un