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L’ÉDUCATION MORALE.

riques s’effacent ; les compartiments du cadre chronologique cèdent : « Clovis, Charlemagne, saint Louis, Henri IV tombent de leur place, comme des portraits suspendus par un clou fragile à un mur de plâtre. » Il faut donc mieux choisir les faits, laisser tomber les menus et les inutiles, jeter toute la lumière sur ceux dont la connaissance importe, et en dérouler la série, de façon que l’écolier sache comment a vécu la France. L’histoire des mœurs et des institutions ne peut être enseignée à des écoliers par termes abstraits, par des phrases et des théories ; mais il est possible de décrire simplement les conditions des individus et des peuples, en se servant des mots connus, des notions élémentaires que possède tout enfant[1].

  1. M. Lavisse arriva dans une école primaire de Paris au moment où un jeune maître commençait une leçon sur la féodalité. Ce jeune maître n’entendait pas son métier, car il parlait de l’hérédité des offices et des bénéfices, qui laissait absolument indifférents les enfants de huit ans auxquels il s’adressait. Entre le directeur de l’école ; il s’interrompt et s’adresse à toute la classe. — « Qui est-ce qui a déjà vu ici un château du temps de la féodalité ? » Personne ne répond. Le maître, s’adressant alors à un de ces jeunes habitants du faubourg Saint-Antoine : « Tu n’as donc jamais été à Vincennes ? — Si, monsieur. — Eh bien, tu as vu un château du temps de la féodalité. » Voilà le point de départ trouvé dans le présent. « Comment est-il, ce château ? » Plusieurs enfants répondent à la fois. Le maître en prend un, le conduit au tableau, obtient un dessin informe, qu’il rectifie. Il marque des échancrures dans la muraille. « Qu’est-ce que c’est que cela ? » Personne ne le savait. Il définit le créneau. « À quoi cela servait-il ? » Il fait deviner que cela servait à la défense. « Avec quoi se battait-on ? avec des fusils ? » La majorité : « Non, monsieur. — Avec quoi ? » Un jeune savant crie du bout de la classe : « Avec des arcs. — Qu’est-ce qu’un arc ? » Dix voix répondent : « Monsieur, c’est une arbalète. » Le maître sourit et explique la différence. Puis il dit comme il était difficile de prendre avec des arcs et même avec les machines du temps un château, dont les murailles étaient hautes et larges, et continuant : « Quand vous serez ouvriers, bons ouvriers, que vous voyagerez pour votre travail ou pour votre plaisir, vous rencontrerez des ruines de châteaux. Il nomme Montlhéry et autres ruines dans le voisinage de Paris. « Dans chacun d’eux il y avait un seigneur. Que faisaient tous ces seigneurs ?» Toute la classe répond : « Ils se battaient. » Alors le maître dépeint devant ces enfants, dont pas un ne perd une de ses paroles, la guerre féodale, mettant les chevaliers en selle et les couvrant de leurs armures. Mais on ne prend pas un château avec des cuirasses et des lances. Alors la guerre ne finissait pas. Et qui est-ce qui souffrait surtout de la guerre ? Ceux qui n’avaient pas de châteaux, les paysans qui, dans ce temps-là, travaillaient pour le seigneur. C’est la chaumière des paysans du seigneur voisin qu’on brûlait. « Ah ! tu me brûles mes chaumières, disait le seigneur attaqué ; je vais te brûler les tiennes. « Il le faisait, et il brûlait, non seulement les chaumières, mais encore les récoltes. « Et qu’arrive-t-il quand on brûle les récoltes ? Il y a la famine. Est-ce qu’on peut vivre sans manger ? » Toute la classe : « Non, monsieur. — Alors, il a bien fallu trouver un remède. » Le voilà qui parle de la trêve de Dieu ; puis il commente : « C’est une singulière