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L’ÉCOLE.

Tolstoï, est-il utile d’inspirer de pareils désirs, mais ce ne seront ni les Ségur, ni les Thiers, ni les Obodovski, qui permettront d’atteindre ce but, Je ne vois pour cela que deux éléments : le sentiment de l’art et le patriotisme. »

Le patriotisme, en effet, doit être l’âme de l’histoire, il faudrait faire de l’enseignement historique un grand répertoire moral ; mais la première condition, lorsqu’il est question de morale, c’est de respecter la vérité. Est-il donc vraiment besoin, comme le croit Tolstoï, d’altérer l’histoire pour la rendre intéressante ? Si les enfants aiment les contes, ils aiment peut-être mieux encore une histoire vraie, qui est arrivée, comme ils disent. Faire de l’histoire une série de drames, c’est méconnaître la grandeur et l’unité de son caractère, c’est déplacer son intérêt, le morceler, pour ainsi dire, afin de le partager entre quelques héros, lesquels en effet, pour mériter cette part d’intérêt, seront tenus de satisfaire à toutes les règles de l’art dramatique.

Non, ce que nous appelons l’histoire, ce n’est pas celle de quelques hommes, mais bien celle de tout un peuple, de tous les peuples ; et comme de semblables héros sont éternellement debout, l’intérêt ne doit pas tomber à chaque page avec tel ou tel personnage donné. L’intérêt de l’histoire, encore une fois, est tout entier dans les idées, les sentiments et les efforts des hommes, non de quelques hommes ; la poésie de l’histoire est celle de la vie en général, non de quelques vies. Si les enfants s’attristent de trouver des défaites là où ils voudraient des victoires, devons-nous regretter que la vie, qu’il n’est pas en notre pouvoir de changer pour eux, leur apparaisse dans sa réalité. La seule chose à considérer, c’est l’âge des enfants.

Tant qu’ils sont très jeunes, on ne peut évidemment songer qu’à feuilleter le livre, non à le lire ; l’histoire sera pour eux une simple succession d’images auxquelles se rattachera ce qu’ils peuvent comprendre des événements. Mais, à aucune époque, dans l’étude de l’histoire, il ne pourra être question d’une nomenclature fastidieuse de faits, de menus faits non raisonnés dans leurs causes, ni déduits dans leurs conséquences. Que se passe-t-il, demande M. Lavisse, après quelques années écoulées, dans ces têtes mal instruites ? Les vagues souvenirs deviennent plus vagues ; les rares traits connus des figures histo-