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L’ÉCOLE.

inspiré des dieux ; qu’ils imagineront Orphée éducateur de la Nature même, et firent de leurs propres poètes les premiers, les seuls éducateurs pour ainsi dire de la jeunesse. L’être moral, pensant et sentant, est à créer chez l’enfant ; et de même qu’on ne prétend pas lui laisser découvrir (en supposant qu’il en fût capable) les lois fondamentales de la science, de même on ne doit pas espérer qu’il parvienne seul et par lui-même à tous les sentiments élevés ; il faut l’amener peu à peu jusque-là ; il faut lui faire connaître de l’esprit humain non seulement les découvertes et les acquisitions, mais même les aspirations idéales, desquelles, somme toute, est née la science. Avant de parler à l’intelligence, surtout à l’intelligence des enfants, des jeunes gens même, il est nécessaire de parler au cœur, à l’imagination, aux sens ; et, pour que l’imagination voie, il faut que tout revête forme et couleur. Le cœur même a besoin d’être éclairé par les yeux. C’est ainsi que le jeune enfant, incapable de s’apercevoir seulement des soins dont il est entouré, prend néanmoins conscience de la tendresse de sa mère par l’adoucissement soudain du regard qu’elle arrête sur lui, par son geste enveloppant et l’accent de sa voix qui semble vouloir le bercer encore. Cela, c’est la tendresse de la mère rendue visible aux yeux comme au cœur ; et c’est aussi la poésie de l’amour maternel. Le propre de la poésie est d’être débordante comme la tendresse môme, de dépasser les formes visibles ovl elle se manifeste, de laisser pressentir au delà quelque chose d’infini. Le poète ressemble au sculpteur. Quand le ciseau taille le marbre, ce n’est pas pour y ce enfermer » l’idée, mais plutôt pour l’y faire naître et pour la faire sortir de l’immobile matière ; à mesure que la statue jaillit du bloc, que les contours s’accusent et que les traits se sculptent, l’expression — ce qui fait la vie et la réalité — semble en même temps surgir ; elle court et se joue, comme un rayon, impalpable et lumineuse, sur cette matière inerte dont elle émane, sur ces formes sensibles qu’elle dépasse, projetée par elles jusqu’à nos yeux, jusqu’à nos cœurs, au plus profond de nous-mêmes. La poésie est bien plus expressive encore. Par elle, le sens des mots devient plus large, les images atteignent au symbole. Comme elle dit beaucoup et laisse deviner plus encore, elle se trouve à la portée de tous les esprits, des plus jeunes comme des plus mûrs, qui la comprennent selon leur