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L’ÉDUCATION MORALE.

des principes établis et par le maître et par les élèves. Malgré toute l’autorité du maître, l’élève avait toujours le droit de ne pas fréquenter l’école, et, même en fréquentant l’école, de ne pas écouter le maître. Le maître, en revanche, avait le droit de ne point garder l’élève chez lui, et le pouvoir d’agir, avec toute la force de son influence, sur la majorité des enfants, sur la société qu’ils forment toujours entre eux, chez eux. Selon Tolstoï, ce désordre, ou « ordre libre », ne nous paraît si effroyable que parce que nous sommes habitués à un tout autre système, d’après lequel nous avons été nous-mêmes élevés. En ce point, comme en beaucoup d’autres, l’emploi de la violence n’est fondé que sur une interprétation irréfléchie et irrespectueuse de la nature humaine. Les écoliers sont des hommes, des êtres soumis, tout petits qu’ils soient, aux mêmes nécessités que nous, des êtres pensants comme nous ; tous ils veulent apprendre, et c’est pourquoi ils vont à l’école, et c’est pourquoi ils arrivent sans effort à cette conclusion, que, pour apprendre, il leur faut se plier à de certaines conditions. Non seulement ils sont des hommes, mais ils constituent une société d’êtres réunis dans une pensée commune. « Et partout où trois s’assemblent en Mon nom, Moi je suis au milieu d’eux ». En cédant aux seules lois naturelles, aux lois dérivées de la nature, ils n’ont ni révolte, ni murmure ; en cédant à votre autorité intempestive, ils n’admettent point la légitimité de vos sonnettes, de vos emplois du temps, de vos règles.

À l’école de Yasnaïa Poliana, le printemps passé, sur trente et quarante écoliers, il n’y eut que « deux cas de contusion avec des marques apparentes » : un des garçons fut poussé au bas du perron, et se blessa à la jambe (la plaie guérit en deux semaines) ; un autre, on lui brûla la joue avec de la gomme allumée, et il eut une eschare pendant une quinzaine de jours. Tolstoï conclut que l’école n’a pas à intervenir dans l’éducation, pure affaire de famille ; que l’école ne doit ni punir ni récompenser, qu’elle n’en a pas le droit, que sa meilleure police et administration consiste à laisser aux élèves liberté absolue d’apprendre et de s’arranger entre eux comme bon leur semble.

On peut justement reprocher à Tolstoï comme à Spencer d’appeler éducation morale le système de discipline par les conséquences naturelles des actes. Ces réactions ne font connaître aux enfants que les rapports de causalité natu-