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L’ÉCOLE.

ou de trois, en suppliant chacun de les écouter. Il est rare qu’un seul raconte. Ils se distribuent par groupes, chacun recherchant ses égaux en intelligence, et ils racontent, s’encourageant, se corrigeant l’un l’autre. — Eh bien, répétons ensemble ! dit un élève à un autre. Mais celui-ci, sachant qu’il n’est pas de taille, l’adresse à un troisième. Dès qu’ils ont tout dit, ils se calment enfin. On apporte des bougies, et leur pensée se porte sur un autre objet. Vers huit heures, les yeux se troublent ; on baille fréquemment ; les bougies brûlent moins vives, on mouche moins souvent la mèche. Les aînés tiennent encore ; mais les cadets et les moins bons élèves commencent à s’endormir, les coudes sur la table, à la vague musique du maître ».

Quand les enfants sont fatigués, ou la veille d’une fête, tout d’un coup, sans dire un mot, à la deuxième ou troisième classe qui suit le dîner, deux ou trois écoliers s’élancent dans la salle et prennent vivement leurs chapeaux. « Où allez-vous ? — À la maison. — Mais la leçon ? Le chant ? — Les enfants ont dit : À la maison ! répond l’élève interpellé en se glissant dehors avec son chapeau. — Mais qui a dit cela ? — Les enfants sont partis. — Comment donc ? demande le maître ennuyé, en préparant sa leçon ; reste, toi. » Mais dans la classe accourt un autre garçon, le visage animé, avec un air d’embarras. — Pourquoi restes-tu ? dit-il d’un ton bourru à l’enfant retenu, qui, dans son hésitation, tortille entre ses doigts les flocons de son bonnet. — Les enfants, voilà où ils sont déjà ! À la forge peut-être. Et tous deux se précipitent au dehors, en criant de la porte au maître : — Adieu, Ivan Petrovitch ! » Et les petits pieds de frapper sur les marches ; et les écoliers, dégringolant, bondissant comme des chats, tombant sur la neige, se devançant l’un l’autre à la course, de s’élancer vers la maison avec des cris.

Ces scènes, dit Tolstoï, se reproduisent une et deux fois par semaine. C’est humiliant et pénible pour le maître, qui les tolère parce qu’elles donnent une plus grande signification aux cinq, six et jusqu’à sept leçons librement, volontairement écoutées chaque jour par les élèves. Si l’alternative se posait en ces termes : que vaut-il mieux, ou qu’il n’advienne aucune de ces scènes dans le courant de l’année entière, ou qu’elles se répètent pour la moitié des leçons ? — c’est ce dernier terme que Tolstoï choisirait. L’école s’est développée librement, dit-il, par la seule vertu