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L’ÉDUCATION MORALE.

de ce qui est une force d’union, surtout avec la tendance individualiste et même anarchique de nos démocrates.

Les écoles publiques, en France, ne peuvent être confessionnelle, mais une doctrine philosophique, telle que le large théisme enseigné dans nos écoles, n’est pas une confession ni un dogme : c’est l’exposition de l’opinion philosophique conforme aux traditions de la majorité, l’athéisme, d’autre part, n’est pas lui-même un dogme ni une confession qui puisse avoir le droit d’exclure toute opinion contraire comme une injure, comme une atteinte à la liberté de conscience. Aucune confession n’est donc atteinte par un enseignement de morale et de philosophie laïque approprié à l’état d’esprit des enfants. Le fanatisme antireligieux offre d’ailleurs de graves dangers, tout comme le fanatisme religieux ; aussi l’État, pour préserver les enfants des uns et des autres doit-il garder la haute direction de l’enseignement primaire. L’État ne peut pas, ne doit pas se désintéresser de pareilles questions. La première partie de la politique, a dit justement Michelet, c’est l’éducation, la seconde, l’éducation, la troisième, l’éducation. L’intervention de l’État peut seule empêcher que la jeunesse du pays ne soit élevée dans un étroit « particularisme » ; elle peut seule maintenir les meilleures traditions nationales, s’opposer à toute éducation manifestement antipatriotique ou immorale. En un mot, l’État a pour tâche de transmettre à la génération nouvelle l’héritage que nous ont transmis les siècles passés, les trésors littéraires, scientifiques, artistiques, que nos ancêtres ont acquis au prix de tant d’efforts. « La continuité de la tradition nationale est la vraie condition du progrès, la source intarissable d’un patriotisme éclairé et fécond. Or il est à craindre que, si l’éducation nationale était abandonnée à l’initiative privée, les préoccupations bassement utilitaires, le défaut d’un horizon suffisamment vaste, et bien d’autres causes ne contribuent à briser le lien qui nous unit à un glorieux passé. Le seul moyen d’éviter les tâtonnements, les erreurs et les fautes de nos devanciers, c’est de les étudier. Il ne peut y avoir de progrès là où l’on dédaigne de profiter des leçons du passé[1] ». L’État doit de plus maintenir le niveau des études à une certaine hauteur, veiller au maintien des bonnes et fortes traditions nationales, prendre des mesures pour que tout

  1. L’éducation selon Herbart, par Roehrich.