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L’ÉCOLE.

mêmes pour juger une cause qui n’est pas de leur ressort, à savoir celle du désintéressement ; c’est oublier que les sentiments ne peuvent être jugés que par leurs pairs. Adressez-vous à la seule générosité quand il s’agit d’élans généreux, et vous serez compris : les sentiments les plus élevés, c’est-à-dire les plus forts, au moins momentanément, étoufferont tous les autres, et rentrainement, le frisson du sublime sera produit.

Nous avons essayé, dans un précédent ouvrage, de faire voir que les religions ne sont point éternelles, qu’elles ont une partie mythique, dogmatique et rituelle, destinée à disparaître. Dans l’état idéal d’anomie religieuse vers lequel nous paraissons aller, toutes les tendances de tempérament ou de race n’en pourront pas moins trouver à se satisfaire et il faut que le « culte de l’idéal » y ait sa place. Pour notre part, nous ne teaons nullement à détruire, et nous croyons même qu’on ne peut rien détruire absolument parlant. Dans la pensée humaine comme dans la nature, toute destruction n’est qu’une transformation. L’irréligion idéale, tout en étant pour nous la négation des dogmes et des superstitions de notre temps, n’est nullement exclusive d’un sentiment religieux renouvelé, — identique à ce sentiment qui correspond toujours en nous à toute libre spéculation sur l’univers, identique au sentiment philosophique lui-même. Dogme, libre pensée, religion, irréligion, — ces termes ne sont que des approximations, et dans les choses il n’y a pas ces solutions de continuité, ces hiatus, ces oppositions artificielles que nous introduisons dans les mots. Nous croyons donc que les religions actuelles sont destinées à disparaître par une dissolution très lente, et pourtant sûre ; mais nous croyons aussi que l’homme, quelle que soit sa race ou sa classe, philosophera toujours sur le monde et sur la grande société cosmique. Il le fera, tantôt naïvement, tantôt profondément, selon son instruction croissante et selon les tendances individuelles de son esprit, tendances qui iront se dégageant et toujours s’affirmant davantage par le progrès même de l’instruction.

S’il en est ainsi, nous ne saurions admettre qu’on doive déclarer la guerre aux religions dans l’enseignement, car elles ont leur utilité morale dans Fétat actuel de l’esprit humain. Elles constituent un des éléments qui empêchent l’édifice social de se désagréger, et il ne faut mépriser rien