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L’ÉDUCATION INTELLECTUELLE.

mement, que toute connaissance est une surcharge pour l’esprit et représente une dépense vaine de force toutes les fois qu’elle n’est pas bien assimilée ; troisièmement, qu’il faut, pour déterminer le nombre des connaissances qu’on veut verser dans un esprit, considérer non seulement la nature de ces connaissances, mais le rapport qui existe entre elles et la capacité de l’esprit dans lequel on cherche à les faire entrer.

La conclusion pratique de ces thèses générales, c’est que, si tout homme en arrivant à l’âge mûr doit être pourvu d’une certaine dose moyenne de connaissances, cette somme de connaissances doit être, non utilitaire au bas sens du mot, mais utilisable pour l’esprit, c’est-à-dire assimilable ; qu’il ne faut pas vouloir élargir à l’excès cette source de connaissances données à tous, parce que le travail stérile qu’on ferait de cette façon accomplir à l’esprit serait autant de perdu pour les forces du corps, et que la meilleure éducation générale est celle qui laisse à l’individu le plus de latitude pour compléter ce qu’il a appris dans la mesure où il est capable d’apprendre utilement.

Une chose essentielle qu’il faut enseigner à l’enfant, c’est l’art de lire méthodiquement, en s’assimilant ce qu’on lit. Pour cela il faut distinguer dans un livre, 1o les passages essentiels au point de vue esthétique et moral, 2o les faits ou idées essentiels au point de vue scientifique. C’est principalement par la lecture que se continue l’éducation intellectuelle à peine ébauchée durant les premières années, quelquefois par la simple lecture des journaux et des romans. Et pourtant des journaux mêmes on pourrait, avec un peu de discernement, retirer une foule de connaissances utiles.

La chose la plus nécessaire peut-être à inculquer, c’est moins un fait, une idée, qu’un sentiment, à savoir l’amour même d’apprendre ; à ce sentiment il faut d’ailleurs joindre, — pour éviter que l’esprit effleure tout sans s’attacher à rien, — l’amour d’étudier jusqu’au fond, d’approfondir. Ce désir d’approfondir ne fait qu’un avec la sincérité parfaite, le désir de trouver le vrai, car il suffit d’un peu d’expérience pour reconnaître que le vrai ne se trouve jamais trop près des surfaces et qu’il faut en toute question creuser et peiner pour y arriver.

Il est à remarquer que les connaissances les plus difficiles à acquérir pour l’enfant sont aussi le plus souvent celles entre lesquelles il est impossible d’établir de lien logique,