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L’ÉDUCATION MORALE.

son savoir, à cause de l’épuisement nerveux qui en résulte.

Le rôle de l’instruction est surtout de donner à l’esprit les cadres où viendront se grouper les faits et les idées que la lecture et l’expérience de la vie fourniront par la suite. Les faits et les idées n’ont une influence réelle et utile sur l’esprit que si, à mesure qu’ils se produisent, l’esprit les systématise et les coordonne avec d’autres faits et d’autres idées ; sinon ils resteront inertes et seront comme s’ils n’existaient pas. Un des principes de l’éducation, c’est précisément l’impuissance de l’éducateur à donner autre chose que des directions générales de pensée et de conduite. L’instruction la plus complète ne fournit que des connaissances nécessairement insuffisantes, et qui seront en quelque sorte englouties dans la multitude d’expériences qui composent une vie.

Il faut donc distinguer les vraies cojinaissances de luxe et celles de nécessité. On s’est trompé gravement dans le classement de ces connaissances ; l’histoire, par exemple, est en grande partie du luxe ; l’hygiène est de la nécessité. Il faut écarter des connaissances qui sont vraiment de luxe tous ceux qui ne se montrent pas intellectuellement assez bien doués. Les parties supérieures de l’enseignement sont encombrées. Des examens préliminaires devraient élaguer tous les rameaux destinés à ne rien produire ; ce serait une économie de sève humaine.

Par connaissances de luxe, nous n’entendons nullement les hautes vérités et les principes spéculatifs des sciences, les beautés de la littérature et des arts ; ce prétendu /uxe est du nécessaire à nos yeux, parce qu’il est le seul moyen d’élever les esprits, de les moraliser par l’amour désintéressé du vrai, du beau. Ce sont toutes les prétendues connaissances utiles ou nécessaires, c’est-à-dire les applications des sciences et les menus récits de l’histoire, qui sont du superflu. Il faut donc distinguer dans l’enseignement les connaissances réputées non utilitaires et les connaissances inutilisables : cette distinction est capitale car l’instruction doit certainement s’élever de beaucoup au-dessus de l’utilitaire, de l’usuel, du terre-à-terre, et d’autre part elle doit éviter avec le même soin de bourrer un esprit de connaissances disproportionnées avec la faculté qu’il possède de les mettre en œuvre.

L’éducateur doit, en premier lieu, poser cette règle générale que toute connaissance serait bonne pour un esprit dont la puissance d’assimilation serait sans limite ; deuxiè-