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L’ÉDUCATION MORALE.

n’écoutant le murmure continu des mots qui retentissent autour de lui que quand il y est disposé, laissant ces mots entrer dans sa tête plutôt qu’il ne les y met, les laissant s’enfoncer comme des clous dans son cerveau par la répétition. On ne développe pas l’attention en la fatiguant, ou bien alors c’est au détriment de la santé générale. Un enfant passe un temps plus ou moins long à apprendre une leçon, on le croit attentif, il le croit lui-même, et à la vérité il n’apprend sa leçon qu’à la faveur de quelques instants seulement d’une véritable attention ; tout le reste est du temps perdu. L’idéal d’une bonne éducation, c’est d’augmenter l’intensité de l’attention et de diminuer le temps qui n’est donné ni à l’attention ni à un repos complet et vraiment hygiénique : c’est une culture intensive sans jachère. En voulant exiger d’un enfant un long eiïort d’attention, on l’épuisé sans profit. Mais on peut, en le maintenant dans la société de personnes intelligentes et dont les pensées sont bien enchaînées, l’habituer lui aussi à ne pas sauter d’un sujet à l’autre, à maintenir son esprit dans un cercle d’idées donné, sans lui permettre de s’enfuir brusquement par la tangente. Pour creuser un terrain à un point, il n’est pas nécessaire de donner cinquante coups de pioche à la minute : on peut mettre autant de temps qu’on voudra ; l’essentiel est de ne pas frapper à côté. La durée de l’attention étant toujours plus ou moins proportionnelle à la curiosité, on peut augmenter beaucoup la durée de l’attention en élargissant la sphère de la curiosité. Par cela même qu’on rend l’attention plus durable et qu’ainsi on l’exerce, on multiplie par cet exercice la faculté même de l’attention. La durée de l’attention est en effet la mesure de sa puissance et c’est un des moyens de la produire.

On a adopté dans nos écoles la méthode d’enseignement par l’aspect (leçons de choses) ; mais faire voir n’est pas tout. Il faut arriver à faire comprendre, à faire raisonner et agir ; les yeux ne doivent pas être un moyen commode de remplacer l’intelligence, mais une ressource pour la développer. Il est une méthode meilleure encore que l’enseignement par l’aspect, c’est l’enseignement par l’action : faire faire aux enfants eux-mêmes les choses qu’on se contente aujourd’hui de leur montrer. Cette méthode parait bien préférable : l’action est un raisonnement concret qui grave à la fois les idées dans l’esprit et dans les doigts. En Amérique, au lieu de faire