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L’ÉDUCATION INTELLECTUELLE.

des travailleurs ; ils finissent par se monter au point que l’inaction devient une souffrance. « Il n’y a pas, dit Herbart, d’enfant bien portant qui refuse de travailler lorsqu’il se trouve dans un milieu plein d’émulation pour le travail ».

Il est donc moins difficile qu’on ne le croit généralement d’amener le jeune enfant à l’amour du travail. Du reste, le peu de goût qu’il en montre parfois au début tient plutôt à un manque d’habitude et à un manque de méthode qu’à la paresse proprement dite. On commencera à développer chez lui la faculté d’observation par les leçons de choses ; on lui présentera les faits concrets avant les vérités abstraites ; on cherchera à rendre l’étude agréable. Le trait commun des méthodes modernes, c’est de conformer l’éducation à la marche naturelle de l’évolution chez l’enfant ; ce qui n’implique pas d’ailleurs un complet laissez-faire, l’enfant ayant besoin que la nourriture intellectuelle lui soit préparée et présentée dans un certain ordre. Les principes généraux d’éducation, qui, selon Spencer, peuvent être regardés comme établis, sont les suivants : 1o l’esprit va du simple au composé ; 2o l’esprit va de l’indéfini au défini ; 3o le développement individuel de l’enfant reproduit les phases du développement historique de l’humanité ; 4o il faut encourager le développement spontané ; 5o l’activité intellectuelle est, en elle-même, agréable, et l’étude bien dirigée doit produire l’intérêt, non le dégoût. En un mot, l’acquisition des connaissances doit être le résultat de l’activité spontanée de l’enfant ; l’exercice normal des facultés étant agréable en soi, l’étude, si elle est bien dirigée, doit être intéressante.

Pourtant, ici encore, il faut éviter l’abus ; changer le travail en vrai jeu, s’instruire en jouant, c’est une mauvaise préparation à la vie. Est-ce que la vie est un jeu ? Kant a eu raison de dire : « C’est une chose funeste d’habituer l’enfant à tout regarder comme un jeu… Il est d’une haute importance d’apprendre aux enfants à travailler : l’homme est le seul animal qui soit dans la nécessité de le faire ». Spencer, lui, veut prendre pour critérium supérieur de la bonne méthode le plaisir des enfants ; — l’intérêt, l’admiration, soit ; mais le plaisir, mais l’amusement ?… Loin de subordonner le travail au plaisir, il faut que l’enfant trouve son plaisir dans le travail même, dans l’exercice de ses facultés et dans le sentiment d’un