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L’ÉDUCATION INTELLECTUELLE.

vie. Il ne faut pas considérer l’individu uniquement en lui-même, comme un point dans l’espace, abstraction faite des atmosphères morale et intellectuelle dont il est enveloppé tout comme de l’atmosphère terrestre et qui sont peut-être, à titre égal, les conditions mêmes de sa vie. Si la première nécessité est de vivre, la seconde assurément est d’en prendre le moyen, c’est-à-dire de s’adapter à son milieu. Or, l’homme étant fait pour vivre parmi les hommes, on ne saurait trop façonner l’enfant à la vie sociale, trop contrebalancer en lui les instincts égoïstes, premièrement éclos, par le développement des instincts altruistes et sociaux, qui doivent prendre un jour une si large part môme dans sa vie individuelle. Maintenant, si la prééminence appartient aux intérêts communs de l’individu et de l’espèce, quels sont ces intérêts communs ? La conservation de l’individu, à coup sûr, est indispensable à l’espèce même, et l’éducation doit tendre à assurer le maintien, le développement, la force de la vie physique, puisque de là dépend la force héréditaire de la race. C’est donc, si l’on veut, la première nécessité, base des autres : De là l’importance de la gymnastique et de l’hygiène, si appréciées des Grecs et trop négligées parmi nous. Encore peut-on signaler ici une antinomie possible entre les intérêts du corps et ceux de l’étude, chez une certaine élite. La théorie même de révolution admet que le progrès de l’espèce s’accomplit aux dépens d’un certain nombre d’individus. Pour faire des Pascal et des Newton, il faut bien consentir à une certaine usure corporelle produite par l’étude. Mais c’est là en somme l’exception, et la bonne santé de la race, sa force, son énergie physique est elle-même une condition préalable pour la production des génies exceptionnels.

Après le développement physique, ou même auparavant, s’il le faut, nous devons placer le développement moral, qui est la fin suprême de l’individu et la condition même d’existence pour la société. Il faut bien reconnaître que, dans notre système d’éducation, nous ne prenons guère plus soin de ce développement moral que du développement physique : nos élèves se moralisent comme ils peuvent (ou se démoralisent), de même qu’ils se portent comme ils peuvent, bien ou mal. Aucun secours de moyens systématiques, aucune méthode n’est, dès le jeune âge, employée à la moralisation : on instruit et on se fie à la vertu morale de l’instruction, voilà tout. Or,