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L’ÉDUCATION MORALE.

cérébraux qu’usent les études de la journée ; il faut subvenir encore à la croissance du corps et au développement du cerveau ; et à ces dépenses de force, il faut ajouter celles qui résultent de la digestion d’une grande quantité d’aliments, nécessaire à tout ce travail. Or, pour détourner de la force, d’une direction dans une autre, il faut la faire tarir dans une de ces directions. C’est ce que le raisonnement montre a priori et l’expérience a posteriori. Tout le monde sait qu’un excès de travail corporel diminue la puissance de l’esprit. La prostration temporaire produite par des efforts précipités, ou par une marche de dix lieues, porte l’esprit à la paresse ; après un mois de voyage à pied, sans intervalles de repos, l’inertie mentale est telle qu’il faut plusieurs jours pour la surmonter ; chez les paysans qui passent leur vie dans le travail musculaire, l’activité intellectuelle est faible. Pendant les accès de croissance subite qui arrivent quelquefois dans l’enfance, la dépense extraordinaire d’énergie est suivie d’une prostration physique et intellectuelle. Un violent exercice musculaire, après qu’on a mangé, suspend la digestion, et les enfants, mis de bonne heure à des travaux durs, deviennent rabougris ; ces faits montrent que l’excès d’activité d’un côté implique la diminution d’activité d’un autre. Or la loi, qui est manifeste dans les cas extrêmes, est vraie dans tous les cas et toujours. Ces fâcheux déplacements de forces ont lieu d’une façon aussi certaine quand on les opère d’une manière insensible et continue, que lorsqu’ils se font d’une manière violente et soudaine. « Donc, si dans la jeunesse la dépense de force appliquée au travail intellectuel dépasse les intentions de la nature, la somme de forces restante, qui doit être appliquée aux autres besoins, tombe au-dessous de ce qu’elle devrait être, et l’on amène inévitablement des maux d’une espèce ou d’une autre[1] ».

Le cerveau qui, pendant l’enfance, est relativement volumineux, mais imparfait comme organisation, s’organisera, si on lui fait accomplir ses fonctions avec trop d’activité, d’une façon plus rapide qu’il ne convient à cet âge ; mais le résultat sera plus tard qu’il n’aura atteint ni les dimensions ni la force qu’il eût atteintes. « Et c’est là une des causes, peut-être la cause principale, pour laquelle les enfants précoces et les jeunes gens qui,

  1. Voir Spencer, de l’Éducation, 3e partie.