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L’ÉDUCATION PHYSIQUE ET L’HÉRÉDITÉ.

à chaque banc un élève chargé de maintenir l’ordre, et qui s’en acquittait fort bien, sans être mal vu pour cela, et sans cesser d’être un camarade. Le maître sortait sans difficulté ; le silence n’en continuait pas moins. Tout est de s’y accoutumer. Les grades militaires sont un très bon véhicule pour y parvenir ». Il faut que nous sachions que nous sommes à peu près les seuls, dans toute l’Europe, à ne pas utiliser les grands élèves pour maintenir les petits dans la discipline. Il est vrai que le Français est si indiscipliné de sa nature !

Il faudrait aussi réformer les promenades. Du temps des jésuites, et dans la plupart des collèges dirigés par les catholiques, on faisait assez fréquemment de grandes promenades. On se donnait un but : un vieux château, un site remarquable, le bord de la mer. En général, il y avait un goûter servi sur l’herbe, ou même un souper, quand le temps le permettait. Il fallait toujours faire une grande course pour arriver au but, mais on la faisait gaiement, et la fatigue même était un plaisir. « J’eus la pensée, dit M. Jules Simon, d’introduire cette coutume dans nos collèges. J’avais imaginé de donner à nos promenades un but instructif[1]. C’est surtout la cam-

  1. Ainsi, quand le temps était incertain et la campagne impossible, on devait aller, selon lui, au musée du Louvre. Tantôt on se faisait accompagner par un professeur de dessin, le plus souvent par un professeur d’histoire ou de belles-lettres.

    « Un autre jour, nous aurions visité Cluny, la Monnaie, l’école des Beaux-Arts. Un professeur d’histoire nous aurait conduits à la Bibliothèque nationale, pour y admirer les livres, les manuscrits, les médailles, les estampes, et le palais lui-même, tout rempli de l’histoire de Mazarin. Rien qu’en longeant les rues, dans une ville qui a été le principal théâtre de l’histoire de la France, il y a toujours quelque chose à enseigner. Notre-Dame, au cœur de la cité, est pleine d’enseignements. À elle seule, elle raconte la moitié de l’histoire de France. C’est là que Henri IV alla entendre le Te Deum aussitôt après son entrée dans Paris ; et c’est là aussi qu’après l’abjuration de Gobel fut inauguré le culte de la déesse Raison. Dans cette place de l’Hôtel-de-Ville, ou plutôt dans un recoin de cette place, car nos pères aimaient à s’entasser, on a pendu, écartelé, roué, tourmenté, brillé. On y a fait force feux de joie. On a crié Vive le Roi à tous les rois de France, et Vive la Republique à tous les gouvernements provisoires ; jusqu’à ce qu’enfin, en un jour de honte éternelle, on ait transformé en ruine sinistre le palais de la Ville de Paris. En remontant la rue Saint-Antoine, on ne trouve rien de l’hôtel Saint-Paul, rien même de la Bastille. Etiam periere ruinæ. Nous aurions évoqué autour de l’hôtel de Rambouillet, les ombres du grand Corneille, de Chapelain et de Voiture. Nous aurions visité la chambre où mourut Voltaire, la rue habitée par J. J. Rousseau, celle où naquit Molière, la place où son corps fut porté quand on ne savait pas si on obtiendrait un coin de terre pour y déposer sa dépouille. Cette