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L’ÉDUCATION MORALE.

à l’entour s’étendent de vastes terrains destinés aux jeux de paume, de ballon et de cricket. Les élèves, rassemblés seulement aux heures de classe, quittent l’école aussitôt après la leçon pour retourner à la maison où ils résident.

En effet : les élèves que leurs familles envoient comme pensionnaires à une école publique sont confiés par elles à l’un des maîtres, dont la maison devient la leur. Ils y restent, ce qui est capital, pendant tout le temps de leur séjour à l’école. Ils y retrouvent jusqu’à un certain point la vie de famille ; ils dînent et soupent avec le maître, avec sa femme, sa mère, ses sœurs. Un enfant peut avoir dix professeurs, mais il a toujours le même tuteur. Ainsi les maîtres peuvent réaliser le programme que leur proposent les statuts ; ils deviennent pour les élèves les remplaçants de leur père : in loco parentis.

Pour le logement des pensionnaires, deux systèmes divisent les grandes écoles : dans les unes, à Eton par exemple, chaque élève a d’ordinaire sa cellule. Dans les autres, comme à Rugby, des dortoirs de deux à seize lits réunissent, la nuit seulement, plusieurs élèves ; mais il est un point sur lequel elles s’accordent toutes, c’est sur l’entière liberté laissée aux élèves en dehors des classes. La leçon finie, l’enfant rentre, sort, joue, travaille comme il lui plaît et quand il lui plaît. La seule règle, mais absolue celle-là, c’est l’heure de la leçon, celle du repas et celle de la clôture, qui a lieu l’été à neuf heures, l’hiver à la chute du jour. La seule obligation, c’est d’avoir terminé à temps le devoir imposé. « Une punition sévère atteindrait tout oubli, tout entraînement ». Dans de telles conditions la surveillance, telle qu’elle est entendue en France est à la lettre impossible : hors les heures de classe les enfants se surveillent et se gouvernent eux-mêmes.

« Les grands ou plutôt les élèves des hautes classes, monitors, prepositors, préfets, sont investis légalement du pouvoir et en maintiennent énergiquement les droits. Le maître d’études est supprimé du coup. Ajoutons que, si ce système venait à prévaloir en France, il subirait forcément des adoucissements, certaines coutumes, le fagging, par exemple, n’ayant aucune chance de s’établir chez nous.

L’objection c’est que l’enseignement secondaire, en Angleterre, a un caractère tout aristocratique. Le séjour à Eton ou à Harrow coûte de 8 à 12000 francs. À ce prix, on peut avoir du comfort. Il faudrait savoir s’il est facile à un petit bourgeois, surtout à un petit paysan,