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Jeanne se levait pour aller vagabonder par la ville, Julien, la prenant dans ses bras, lui murmura tendrement à l’oreille : « Si nous nous couchions un peu, ma chatte ? »

Elle resta surprise : « Nous coucher ? Mais je ne me sens pas fatiguée. »

Il l’enlaça. « J’ai envie de toi. Tu comprends ? Depuis deux jours !… »

Elle s’empourpra, honteuse, balbutiant : « Oh ! maintenant ! Mais que dirait-on ? Que penserait-on ? Comment oserais-tu demander une chambre en plein jour ? Oh ! Julien, je t’en supplie. »

Mais il l’interrompit : « Je m’en moque un peu de ce que peuvent dire et penser des gens d’hôtel. Tu vas voir comme ça me gêne. »

Et il sonna.

Elle ne disait plus rien, les yeux baissés, révoltée toujours dans son âme et dans sa chair, devant ce désir incessant de l’époux, n’obéissant qu’avec dégoût, résignée, mais humiliée, voyant là quelque chose de bestial, de dégradant, une saleté enfin.

Ses sens dormaient encore, et son mari la traitait maintenant comme si elle eût partagé ses ardeurs.

Quand le garçon fut arrivé, Julien lui demanda de les conduire à leur chambre. L’homme, un vrai Corse velu jusque dans les yeux, ne comprenait pas, affirmait que l’appartement serait préparé pour la nuit.

Julien impatienté s’expliqua : « Non, tout de suite. Nous sommes fatigués du voyage, nous voulons nous reposer. »

Alors un sourire glissa dans la barbe du valet et Jeanne eut envie de se sauver.