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grande aiguille, elle vint s’accouder à la fenêtre et contempla la nuit charmante.

Les deux fiancés allaient sans fin, à travers le gazon, du bosquet jusqu’au perron, du perron jusqu’au bosquet. Ils se serraient les doigts et ne parlaient plus, comme sortis d’eux-mêmes, tout mêlés à la poésie visible qui s’exhalait de la terre.

Jeanne tout à coup aperçut dans le cadre de la fenêtre la silhouette de la vieille fille que dessinait la clarté de la lampe.

— Tiens, dit-elle, tante Lison qui nous regarde.

Le vicomte releva la tête, et, de cette voix indifférente qui parle sans pensée :

— Oui, tante Lison nous regarde.

Et ils continuèrent à rêver, à marcher lentement, à s’aimer.

Mais la rosée couvrait l’herbe, ils eurent un petit frisson de fraîcheur.

— Rentrons maintenant, dit-elle.

Et ils revinrent.

Lorsqu’ils pénétrèrent dans le salon, tante Lison s’était remise à tricoter ; elle avait le front penché sur son travail ; et ses doigts maigres tremblaient un peu, comme s’ils eussent été très fatigués.

Jeanne s’approcha :

— Tante, on va dormir, à présent.

La vieille fille tourna les yeux ; ils étaient rouges comme si elle eût pleuré. Les amoureux n’y prirent point garde ; mais le jeune homme aperçut soudain les fins souliers de la jeune fille tout couverts d’eau. Il fut saisi d’inquiétude et demanda tendrement : « N’avez-vous point froid à vos chers petits pieds ? »