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Elle dormit bien peu cette nuit-là.

Alors de jour en jour le troublant désir d’aimer l’envahit davantage. Elle se consultait sans cesse, consultait aussi les marguerites, les nuages, des pièces de monnaie jetées en l’air.

Or, un soir, son père lui dit : « Fais-toi belle, demain matin. » Elle demanda : « Pourquoi, papa ? » Il reprit : « C’est un secret. »

Et quand elle descendit le lendemain toute fraîche dans une toilette claire elle trouva la table du salon couverte de boîtes de bonbons ; et, sur une chaise, un énorme bouquet.

Une voiture entra dans la cour. On lisait dessus : « Lerat, pâtissier à Fécamp. Repas de noces ; » et Ludivine, aidée d’un marmiton, tirait d’une trappe ouvrant derrière la carriole, beaucoup de grands paniers plats qui sentaient bon.

Le vicomte de Lamare parut. Son pantalon était tendu et retenu sous de mignonnes bottes vernies qui faisaient voir la petitesse de son pied. Sa longue redingote serrée à la taille laissait sortir par l’échancrure sur la poitrine la dentelle de son jabot ; et une cravate fine, à plusieurs tours, le forçait à porter haut sa belle tête brune empreinte d’une distinction grave. Il avait un autre air que de coutume, cet aspect particulier que la toilette donne subitement aux visages les mieux connus. Jeanne, stupéfaite, le regardait comme si elle ne l’avait point encore vu ; elle le trouvait souverainement gentilhomme, grand seigneur de la tête aux pieds.

Il s’inclina, en souriant : « Eh bien, ma commère, êtes-vous prête ? »