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grande, tantôt la sienne, plus petite, tantôt celle de tante Lison, un peu tremblée. Et il lui sembla que l’enfant d’autrefois était là, devant elle, avec ses cheveux blonds, collant son petit front contre le mur pour qu’on mesurât sa taille.

Le baron criait : « Jeanne, il a grandi d’un centimètre depuis six semaines. »

Elle se mit à baiser le lambris, avec une frénésie d’amour.

Mais on l’appelait au dehors. C’était la voix de Rosalie : « Madame Jeanne, madame Jeanne, on vous attend pour déjeuner. » Elle sortit, perdant la tête. Et elle ne comprenait plus rien de ce qu’on lui disait. Elle mangea des choses qu’on lui servit, écouta parler sans savoir de quoi, causa sans doute avec les fermiers qui s’informaient de sa santé, se laissa embrasser, embrassa elle-même des joues qu’on lui tendait, et elle remonta dans la voiture.

Quand elle perdit de vue, à travers les arbres, la haute toiture du château, elle eut dans la poitrine un déchirement horrible. Elle sentait en son cœur qu’elle venait de dire adieu pour toujours à sa maison.

On s’en revint à Batteville.

Au moment où elle allait rentrer dans sa nouvelle demeure, elle aperçut quelque chose de blanc sous la porte ; c’était une lettre que le facteur avait glissée là en son absence. Elle reconnut aussitôt qu’elle venait de Paul, et l’ouvrit, tremblant d’angoisse. Il disait :


« Ma chère maman, je ne t’ai pas écrit plus tôt parce que je ne voulais pas te faire faire à Paris un voyage inutile, devant moi-même aller te voir inces-