Page:Guy de Maupassant - Une vie.djvu/334

Cette page a été validée par deux contributeurs.

grand’peine à l’ouvrir, la lourde clef rouillée refusant de tourner. La serrure enfin céda avec un dur grincement des ressorts ; et le battant, un peu résistant lui-même, s’enfonça sous une poussée.

Jeanne tout de suite, et presque courant, monta jusqu’à sa chambre. Elle ne la reconnut pas, tapissée d’un papier clair ; mais, ayant ouvert une fenêtre, elle demeura remuée jusqu’au fond de sa chair devant tout cet horizon tant aimé, le bosquet, les ormes, la lande, et la mer semée de voiles brunes qui semblaient immobiles au loin.

Alors elle se mit à rôder par la grande demeure vide. Elle regardait, sur les murailles, des taches familières à ses yeux. Elle s’arrêta devant un petit trou creusé dans le plâtre par le baron qui s’amusait souvent, en souvenir de son jeune temps, à faire des armes avec sa canne contre la cloison quand il passait devant cet endroit.

Dans la chambre de petite mère elle retrouva, piquée derrière une porte, dans un coin sombre, auprès du lit, une fine épingle à tête d’or qu’elle avait enfoncée là autrefois (elle se le rappelait maintenant), et qu’elle avait, depuis, cherchée pendant des années. Personne ne l’avait trouvée. Elle la prit comme une inappréciable relique et la baisa.

Elle allait partout, cherchait, reconnaissait des traces presque invisibles dans les tentures des chambres qu’on n’avait point changées, revoyait ces figures bizarres que l’imagination prête souvent aux dessins des étoffes, des marbres, aux ombres des plafonds salis par le temps.

Elle marchait à pas muets, toute seule dans l’im-