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jusqu’au bout ; puis, quand elle avait fini, elle recommençait.

À la fin elle ne pouvait plus, mêlait tout, modelait d’autres mots, s’énervant jusqu’à la folie.

Toutes les manies des solitaires la possédaient. La moindre chose changée de place l’irritait.

Rosalie souvent la forçait à marcher, l’emmenait sur la route ; mais Jeanne au bout de vingt minutes déclarait : « Je n’en puis plus, ma fille ; » et elle s’asseyait au bord du fossé.

Bientôt tout mouvement lui fut odieux, et elle restait au lit le plus tard possible.

Depuis son enfance, une seule habitude lui était demeurée invariablement tenace, celle de se lever tout d’un coup aussitôt après avoir bu son café au lait. Elle tenait d’ailleurs à ce mélange d’une façon exagérée ; et la privation lui en aurait été plus sensible que celle de n’importe quoi. Elle attendait, chaque matin, l’arrivée de Rosalie avec une impatience un peu sensuelle ; et, dès que la tasse pleine était posée sur la table de nuit, elle se mettait sur son séant et la vidait vivement d’une manière un peu goulue. Puis, rejetant ses draps, elle commençait à se vêtir.

Mais peu à peu elle s’habitua à rêvasser quelques secondes après avoir reposé le bol dans son assiette ; puis elle s’étendit de nouveau dans le lit ; puis elle prolongea de jour en jour cette paresse jusqu’au moment où Rosalie revenait furieuse, et l’habillait presque de force.

Elle n’avait plus, d’ailleurs, une apparence de volonté et, chaque fois que sa servante lui demandait un conseil, lui posait une question, s’informait de son