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s’étonna, connaissant la méticuleuse politesse de ses voisins ; mais la marquise de Coutelier lui révéla avec hauteur la raison de cette abstention.

Se regardant, par la situation de son mari, et par son titre bien authentique, et par sa fortune considérable, comme une sorte de reine de la noblesse normande, la marquise gouvernait en vraie reine, parlait en liberté, se montrait gracieuse ou cassante, selon les occasions, admonestait, redressait, félicitait à tout propos. Jeanne donc s’étant présentée chez elle, cette dame, après quelques paroles glaciales, prononça d’un ton sec : « La société se divise en deux classes : les gens qui croient en Dieu et ceux qui n’y croient pas. Les uns, même les plus humbles, sont nos amis, nos égaux ; les autres ne sont rien pour nous. »

Jeanne, sentant l’attaque, répliqua : « Mais ne peut-on croire à Dieu sans fréquenter les églises ? »

La marquise répondit : « Non, Madame ; les fidèles vont prier Dieu dans son église comme on va trouver les hommes en leurs demeures. »

Jeanne, blessée, reprit : « Dieu est partout, Madame. Quant à moi qui crois, du fond du cœur, à sa bonté, je ne le sens plus présent quand certains prêtres se trouvent entre lui et moi. »

La marquise se leva : « Le prêtre porte le drapeau de l’Église, Madame ; quiconque ne suit pas le drapeau est contre lui, et contre nous. »

Jeanne s’était levée à son tour, frémissante : « Vous croyez, Madame, au Dieu d’un parti. Moi je crois au Dieu des honnêtes gens. »

Elle salua et sortit.

Les paysans aussi la blâmaient entre eux de n’avoir